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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

tisserands, font de grosses toiles, et des étoffes qu’ils appellent droguet, dont ils se servent pour se vêtir eux et leur famille. Ils aiment les distinctions et les caresses, se piquent de bravoure, sont extrêmement sensibles au mépris et aux moindres punitions. Ils sont intéressés, vindicatifs, sont sujets à l’ivrognerie, font un grand usage de l’eau-de-vie, passent pour n’être point véridiques. Ce portrait convient au grand nombre, particulièrement aux gens de la campagne ; ceux des villes sont moins vicieux. Tous sont attachés à la religion ; on voit peu de scélérats ; ils sont volages ; ont trop bonne opinion eux-mêmes : ce qui les empêche de réussir, comme ils pourraient le faire, dans les arts, l’agriculture et le commerce. Joignons à cela l’oisiveté à laquelle la longueur et la rigueur de l’hiver donne occasion. Ils aiment la chasse, la navigation, les voyages, et n’ont point l’air grossier et rustique de nos paysans de France. Ils sont communément assez souples lorsqu’on les pique d’honneur et qu’on les gouverne avec justice, mais ils sont généralement indociles. Il est nécessaire de fortifier de plus en plus l’exacte subordination qui doit être dans tous les ordres, dans les gens de la campagne. Cette partie du service a été de tout temps la plus importante et la plus difficile à remplir. Un des moyens pour y parvenir est de choisir pour officiers dans les côtes les habitants les plus sages et les plus capables de commander, et d’apporter de la part du gouvernement toute l’attention convenable pour les maintenir dans leur autorité ; on ose dire que le manque de fermeté, dans les gouvernements passés, a beaucoup nui à la subordination. Depuis plusieurs années les crimes ont été punis ; les désordres ont été réprimés par des châtiments proportionnés ; la police par rapport aux chemins publics, aux cabarets etc., a été mieux observée, et en général les habitants ont été plus contenus qu’ils ne l’étaient autrefois. »

Kalm n’a passé que quelques semaines (1749) parmi nous, aussi n’a-t-il pu se rendre compte de tout ce qu’il eût désiré comprendre. Ses notes sont cependant bonnes à consulter : « Les arts mécaniques, tels que l’architecture, l’ébénisterie, la confection des ouvrages au tour, etc., ne sont pas aussi avancés ici qu’on devrait s’y attendre, et les Anglais sous ce rapport l’emportent sur les Français. Cela vient de ce que la plupart des colons ici sont des soldats lienciés qui n’ont pas eu l’occasion d’apprendre aucun métier[1], ou n’en ont appris un que par accident ou par nécessité. Il y en a cependant qui ont de bonnes notions de la mécanique et j’en ai vu un qui faisait d’excellentes horloges et montres, quoiqu’il n’eût que fort peu d’instruction… Les Français natifs de France jouissent, à ce que l’on dit, d’une meilleure santé en Canada que dans leur propre pays, et atteignent un âge plus avancé que les Français nés dans la colonie. On m’a également assuré que les Français d’Europe peuvent faire plus d’ouvrage, et entreprendre en hiver, sans nuire à leur santé, des voyages plus fréquents que les Français qui sont nés au Canada. La fièvre intermittente, par laquelle tout Européen passe à son arrivée en Pennsylvanie, comme par une épreuve nécessaire pour l’accoutumer à l’état habituel de l’atmosphère, n’est pas connue en Canada, et les

  1. Nous possédons nombre de documents qui mentionnent des soldats hommes de métiers.