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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

acquéreur de la seigneurie de Nicolet obtint l’île de la Fourche avec les îles et îlets situés au bout de cette île, dans la rivière Cressé (Nicolet) ; de plus trois lieues d’augmentation de sa seigneurie dans la profondeur des terres.

Le dénombrement de l’année 1679 constate l’existence dans la colonie de neuf mille quatre cents âmes ; vingt et un mille neuf cents arpents en culture ; cent quarante-cinq chevaux ; douze ânes ; six mille neuf cent quatre-vingt trois bêtes à cornes ; sept cents dix-neuf moutons ; trente-trois chèvres ; mille huit cent quarante fusils ; cent cinquante-neuf pistolets. C’est la première fois que les armes sont comptées dans ces sortes de documents ; on voit que leur nombre s’élevait à peu près au même chiffre que celui des familles. L’organisation de la milice était alors fort avancée. La période de paix qui marque toute la première administration de Frontenac (1672-1682) fut employée à l’établissement d’un systême militaire qui a produit par la suite les plus grands résultats. Chaque habitant connaissait sa place dans les rangs de la compagnie à laquelle il appartenait et, lui comme ses chefs immédiats, ces vaillants « capitaines de côtes », n’attendaient que l’ordre de marcher.

En 1680, la population de la Nouvelle-France était de neuf mille sept cent dix-neuf âmes ; plus, neuf cent soixante sauvages réunis en bourgades et qui pouvaient fournir un contingent de deux à trois cents hommes en cas de guerre.

La France avait mis fin, en 1678, à la série de guerres commencées six années auparavant et, par le traité de Nimègue, la Franche-Comté et presque toute la Flandre lui étaient annexées. Le prestige dont Louis XIV se voyait entouré semble avoir plus que jamais contribué à détourner ses regards du Canada — précisément à l’heure où cette colonie se montrait si digne de la sollicitude d’un grand prince. Deux régiments licenciés comme celui de Carignan eussent pesé d’un poids immense dans les destinées de l’Amérique.

La création de la charge d’intendant au Canada avait été faite à l’imitation de celles qui existaient sur divers points du royaume. Frontenac, toujours bouillant et agressif, fit ressouvenir au roi par sa conduite que Talon n’avait pas été remplacé. M. Jacques Duchesneau, président des trésoriers de la généralité de Tours fut nommé intendant du Canada le 8 avril 1675. Selon l’esprit des institutions accordées à la colonie depuis dix ans, ce fonctionnaire, mis à la tête de la justice, police, commerce et finance, jouissait de la liberté d’agir à sa guise. Le gouverneur avait donc en sa personne une sorte de rival, un obstacle matériel, un censeur même. On a dit que ce n’était qu’un contre-poids : soixante-et-quinze ans d’expérience démontrent que le dualisme dans l’exercice du pouvoir fut une faute de premier ordre. La zizanie au Conseil, la lutte en permanence entre les deux dignitaires les plus élevés retardèrent de beaucoup les progrès du pays.

Le premier désaccord qui éclata entre Frontenac et Duchesneau eut pour objet des questions de préséances : les honneurs à recevoir dans les églises. En vain Colbert écrivit-il à l’intendant qu’il ne pouvait prétendre à se mettre sur un pied d’égalité avec le gouverneur — la dispute se perpétua : elle provenait de plus d’une cause. La traite en sous main et le commerce de l’eau-de-vie que favorisait Frontenac donnaient lieu à des dénonciations de la