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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

sorte que vous me l’avez ordonné, mais inutilement, m’ayant déclaré qu’ils n’étaient ici que pour chercher à instruire les Sauvages, ou plutôt à tirer des castors, et non pas pour être curés français. Ils ont même affermé, depuis huit jours, et retiré deux pères qu’ils ont toujours eus à leur habitation du cap de la Madeleine, qui est une des plus nombreuses qui soit en ce pays parce qu’il n’y vient pas présentement assez de Sauvages[1]. Et quand j’ai voulu représenter doucement au père supérieur l’incommodité où se trouvaient les habitants[2] d’être sans secours spirituels, il n’a pas hésité à me dire les raisons que je vous marque. Cependant, après avoir résolu de n’y laisser aucun de leurs pères, les admonitions charitables que je leur ai faites les ont obligés, depuis quelques jours, à changer de résolution, et le supérieur m’est venu trouver pour me dire qu’ils en laisseraient un, mais je crois que ce ne sera que pour cet hiver et pour laisser passer le grand bruit que cela ferait. »

Le mal de cette époque, où la colonie était si paisible, fut la traite, la contrebande, les opérations cachées et ouvertes des trafiquants, les coureurs de bois en un mot. Frontenac se lia avec La Salle, Du Luth, La Taupine ; Duchesneau, l’intendant, eut aussi des associés secrets ; les jésuites agissaient comme de coutume. Des tiraillements résultaient de ces divers intérêts mis en jeu : le colon était négligé, laissé à ses seuls ressources, comme il arrive toujours lorsque les puissances ne s’accordent pas.

Louis XIV insistait, d’année en année, à faire abolir la traite dirigée par les ecclésiastiques ; en 1677, il formula des menaces contre tous ceux qui s’y livraient, « soient, dit-il, les jésuites, ou d’autres prêtres ou leurs valets. » La Salle soutenait, quelques mois plus tard, que la concurrence des jésuites était la plus redoutable pour les traiteurs attitrés, vu qu’ils étaient privés d’absolution s’ils vendaient de l’eau-de-vie et que les jésuites ne s’infligeaient point cette punition à eux-mêmes. La Salle était emporté et d’un entêtement fort désagréable, aussi doit-on le lire avec réserve. Il avait les défauts de ses qualités.

La faveur dont La Salle jouissait auprès de Frontenac lui fit tourner les yeux vers une nouvelle entreprise. Le 13 mai 1675, le roi accorda à « Robert Cavelier, sieur de La Salle, le fort appelé de Frontenac, avec quatre lieues de pays adjacent… les îles nommées Ganoukouenot et Kaouenesgo et les îles adjacentes… et offre le dit de la Salle de rembourser la somme de dix mille livres, à laquelle monte la dépense qui a été faite pour construire le dit fort de Frontenac, entretenir le dit fort en bon état et la garnison nécessaire pour la défense d’icelui, laquelle ne pourra être moindre que celle du fort de Montréal ; d’entretenir vingt hommes, pendant deux années, pour le défrichement des terres, et en attendant qu’il ait fait bâtir une église, d’entretenir un prêtre ou religieux pour faire le service divin et administrer les sacrements, desquels entretiens et autres choses le dit de la Salle fera seul les frais et dépenses, jusqu’à ce qu’il se soit établi au-dessus du Long-Sault, nommé Garonsoi (ou Ganonouory), quelques particuliers avec semblables concessions que celle qu’il demande, auquel cas ceux qui auront obtenu les dites concessions seront tenus de contribuer au dit

  1. Par suite des ravages de la petite vérole en 1670.
  2. Les jésuites étaient aussi seigneurs du Cap.