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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

le conseil supérieur qu’ils n’avaient jamais « fait aucune profession de vendre et n’ont jamais rien vendu, mais seulement que les marchandises qu’ils donnent aux particuliers ne sont que pour avoir leurs nécessités. » Il n’est pas besoin ici de lire entre les lignes. Le Journal des Jésuites nous apprend, à la date du 17 août 1665 que « le père Frémin remonte supérieur au cap de la Madeleine, où le temporel est en bon état. Comme il est délivré de tout soinpouvoir d’aucune traite, il doit s’appliquer à l’instruction tant des Montagnets que des Algonquins, en telle manière néanmoins que le père Albanel saura qu’il est toujours chargé du principal soin de cette mission. » Le père Albanel était alors supérieur aux Trois-Rivières. On a vu dans le présent ouvrage (tome iv, 102) ce que Talon disait de la traite du cap de la Madeleine. La Salle assure que le père Albanel avait traité en cette endroit « pour sept cents pistoles de peaux d’orignaux et de castors, lui-même me l’a dit en 1667. Il vend le pain, le vin, le blé, le lard, et il tient magasin au Cap aussi bien que le père Joseph à Québec. Ce père gagne cinquante pour cent sur tous les peuples. Les jésuites ont bâti leur collége en partie de leur traite et en partie de l’emprunt. » Il ajoute que le gouverneur ayant reproché ce trafic au père Frémin, celui-ci répondit « que c’était une calomnie que ce grand gain prétendu, puisque tout ce qui se passait par ses mains ne pouvait produire par an que quatre mille francs de revenant bon, tous frais faits, sans comprendre les gages des domestiques. » Dans son mémoire de 1671, Péronne Dumesnil affirme que Mgr  de Laval excommunie tous les vendeurs d’eau-de vie à l’exception de quelques personnes qu’il favorise ; de plus, dit-il, l’évêque et le père Ragueneau gardent un commis aux gages de cinq cents francs par année pour traiter avec les sauvages qui lui cèdent des pelleteries pour de la boisson, si bien que durant un certain temps le commerce de cette nature se trouva presque entièrement entre les mains de ces messieurs — les autres marchands ne pouvant soutenir la concurrence. Le revenu annuel des jésuites était alors, suivant le même auteur, de vingt mille francs « partie par la traite et partie de dons charitables des amis de France ». Le 3 septembre 1674, la compagnie des Indes accorda aux jésuites une exemption de droits sur leurs marchandises, tant en sortant qu’en arrivant. Il leur fut permis de construire des moulins et des engins à sucre, d’avoir des esclaves, des engagés et des domestiques, exempts, de toute charge, même de la corvée d’une urgente nécessité ; le tout en récompense de leurs efforts pour convertir les nègres et les sauvages et instruire les Français. Le 14 novembre, même année, Frontenac écrivait au roi : « Je me suis acquitté de l’ordre par lequel vous me prescrivez de continuer à exciter les jésuites, le séminaire de Montréal et les récollets à prendre de jeunes sauvages pour les instruire à la foi et les rendre sociables ; les derniers ne demandent pas mieux et s’efforcent de le faire dans la maison de Cataracouy (le fort Frontenac), où ils feront assurément des progrès. Pour les autres (les jésuites) je leur ai donné l’exemple et fait voir, quand ils voudront se servir de leur crédit et du pouvoir qu’ils ont sur les sauvages, ils les rendront sociables et auront de leurs enfants comme j’en ai, mais c’est une chose qu’ils ne feront jamais, à moins que d’y être absolument contraints… Ils en useront de même à l’égard de l’étendue de leurs missions sur laquelle je leur ai parlé de la