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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le comte de Frontenac arriva, au commencement de septembre 1672, apportant des instructions nouvelles. L’un de ses premiers soins fut de réunir les habitants et de les consulter sur la situation des affaires. À l’imitation des anciennes coutumes de France, il avait convoqué (23 octobre) les trois ordres : le clergé, la noblesse, les gens de justice et le tiers état, « faisant dépendre la confirmation et la destitution des membres de l’assemblée de la seule volonté du gouverneur, afin qu’il n’y eut point d’autorité qui ne fut soumise à celle des personnes entre les mains desquelles le roi avait confié la sienne. » Colbert (13 juin 1673) se montra choqué de cette action. « Votre assemblée des habitants, écrivit-il à Frontenac, pour prendre serment de fidélité, et la division que vous en avez faite en trois ordres, peut avoir eu un bon effet dans le moment, mais il est bon de vous faire savoir que vous devez toujours suivre dans le gouvernement du Canada, les formes qui se pratiquent en France, » c’est-à-dire, comme la dépêche l’explique, ne recourir à cette mesure que le moins possible, et « vous devez très rarement, ou pour mieux dire jamais, donner cette forme au corps des habitants du pays. » À propos du syndic : « vous devez, à mesure que la colonie prendra de la force, supprimer graduellement cet officier qui présente des requêtes au nom des habitants, car il est bon que chacun parle pour soit et non pas un seul pour tous. » Lorsque chacun parle pour soi, nous le savons par expérience, ce n’est pas le peuple qui est écouté.

Le ministre, dit Garneau, avait expliqué à Frontenac que l’agrandissement du Canada devait être la règle de sa conduite ; « qu’il aurait à penser continuellement aux moyens de conserver tous les habitants dans le pays et d’y en établir d’autres ; il devait encourager les mariages, l’agriculture l’élevage des bestiaux, les pêcheries, la construction des navires, le commerce avec les îles, l’ouverture d’un chemin du Canada à l’Acadie ; s’opposer adroitement et sans partialité aux jésuites qui voudraient porter trop loin l’autorité ecclésiastique et appuyer le séminaire de Saint-Sulpice et les récollets, pour balancer l’autorité que les premiers pourraient se donner au préjudice de celle du roi ; enfin, veiller, suivant la recommandation toujours répétée, à ce que la justice fût administrée d’une manière impartiale. »

Sauf quelques exceptions, tous les colons venus de France avant 1673 se mirent à la culture de la terre et s’établirent permanemment. Ce n’est point là l’occupation d’une classe dépravée. Ce seul caractère suffirait au besoin pour attester du moral des premiers Canadiens. Néanmoins, quelques auteurs ont pensé que les mœurs s’étaient ressenties de l’arrivée et du licenciement des troupes, de 1665 à 1672, mais, comme le remarque M. T. P. Bédard, la criminalité n’avait pas considérablement augmenté en 1675, si l’on tient compte du chiffre de la population établie depuis dix ans. « Les tribunaux étaient aussi bien organisés qu’ils pouvaient l’être, et notons avec honneur que la justice se rendait avec impartialité et sans frais, excepté ceux des greffiers et des huissiers, lesquels étaient fort minimes. En étendant mes conclusions, au moyen de mes longues et scrupuleuses recherches, je puis dire que j’ai parcouru les registres judiciaires du pays jusqu’à la fin du xviie siècle, et j’ai constaté, d’après les procès criminels, en tenant compte de la population et en comparant avec les statistiques judiciaires de nos jours, que le niveau moral des colons d’alors était à peu près le même que celui de la