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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Vers 1668, on commence à remarquer l’introduction des gouverneurs et des intendants dans le commerce des pelleteries. Malgré les ordonnances, ces hauts fonctionnaires se laissaient tenter de prendre part aux entreprises de ce genre. MM. de Courcelles et Talon, qui peut-être n’en attendaient aucun bénéfice personnel, ouvrirent la voie à ce système d’abus en protégeant La Salle. Deux partis se dessinèrent bientôt : celui qui trafiquait ouvertement par permission, et celui qui agissait sous des noms d’emprunt. Nous en parlerons plus loin.

M. l’abbé de Queylus était revenu de France (1668). Nommé par Mgr de Laval l’un de ses grands-vicaires, il s’était fixé à Montréal, ainsi que MM. les abbés d’Urfé, Galinée et d’Allet. Le séminaire de Saint-Sulpice se voyait en état de travailler aux missions sauvages, aussi, le 2 octobre 1668, MM. Trouvé et Fénelon partirent-ils, avec des Iroquois pour aller commencer une mission chez les Goyogouins du village de Kenté, au nord du lac Ontario ; ils furent bien reçus, et M. de Courcelles, qui surveillait d’un œil inquiet la conduite des Iroquois en profita pour agir de ce côté. Quoique résignés à la paix les Cinq-Nations n’étaient pas moins actives à acquérir de l’influence. Déjà elles attiraient la traite des Sauvages des grands lacs et en échangeaient les produits chez les Anglais leurs voisins, ce qui constituait un danger pour le commerce français. Les jésuites retournés dans leur pays vers ce temps, ne pouvaient que mieux comprendre la situation, mais sans être en état de la changer. « Les Iroquois se croyant assurés d’être secourus de leurs voisins, dit Charlevoix, et d’en tirer ce qui leur était nécessaire, toutes les fois que nous les attaquerions, ou qu’il leur prendrait fantaisie de rompre la paix, ne se sont jamais mis en peine de conserver notre alliance ; d’où il est arrivé que nous craignant fort, on ne les a jamais trouvé fort dociles sur le fait de la religion. Les mêmes missionnaires ajoutaient que la traite de l’eau-de-vie, que ces barbares faisaient librement dans la Nouvelle-York, avaient aussi toujours été un obstacle insurmontable à leur conversion. » Les désordres causés par l’ivrognerie étaient devenus tels que, en 1668, les autorités de la colonie anglaise défendirent à leurs gens de fournir des boissons enivrantes aux Iroquois. Les pères jésuites eurent la bonne pensée de fonder sur leurs terres de Laprairie, près Montréal, un village (1670) où pouvaient s’établir ceux qui étaient désireux de se soustraire à ce vice. La même année, M. de Courcelles se rendit, avec cinquante-six hommes, à la baie de Kenté, faire acte de présence et montrer aux Iroquois que les rapides du Saint-Laurent n’étaient point des obstacles sérieux à la marche des troupes françaises. C’est alors, croit-on, que ce gouverneur forma le projet de construire un fort au lac Ontario et d’y concentrer le commerce des fourrures dont les Anglais s’emparaient par l’entremise des Iroquois. Cette démarche, jointe à celle que le sieur Simon-François Daumont de Saint-Lusson exécutait en même temps (14 juin 1671) au Saut Sainte-Marie, était d’une politique habile et telle qu’il la fallait non seulement en Amérique, pour y assurer la prépondérance française, mais aussi aux yeux de l’Europe où Louis XIV visait à tenir la balance des grands intérêts des nations commerciales. Si elle eut été soutenue chez nous par l’envoi d’un simple régiment et d’un certain nombre de colons, rien n’eût pu la contrecarrer. Le patriotisme des Canadiens était une ferme base sur laquelle on pouvait édifier tout un grand avenir, mais on manqua de systême.