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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

L’élan imprimé à la colonie la transforma en quelques années. « Colbert connaissait l’importance de l’industrie et il savait quel profit un pays peut retirer en manufacturant lui-même tous les objets dont il a besoin. On encouragea la culture des chanvres, qui venaient très bien, on établit des manufactures de cordes, de toile à voile, de serges ; on recommanda aux écoles d’apprendre à filer aux femmes, aux jeunes filles et aux enfants[1]. Enfin, on forma des établissements pour la fabrication des souliers, des chapeaux, la préparation des cuirs et des draps. M. Talon commença par faire bâtir une halle et une tannerie à Québec ; il s’en établit bientôt dans deux faubourgs de Montréal, qui ont conservé le nom de Tannerie des Rolland et Tannerie de Bélair. M. Talon encouragea aussi les fabriques de savons et de potasse[2] et plusieurs brasseries, suivant ses instructions. Du reste, avant l’arrivée de Talon, il y avait des tanneries et des brasseries[3] à Montréal. On commença aussi à établir des moulins à eau ; on fixa deux jours de marché par semaine pour soustraire les citoyens à l’inconvénient d’acheter des revendeurs. Si l’on considère que l’argent de ce temps valait au moins quatre fois ce qu’il vaut aujourd’hui, l’on verra que le prix des denrées et des services était à peu près ce qu’il est maintenant. Un minot de blé valait huit livres ; cent planches cinquante livres ; le beurre, douze à seize sous la livre ; un bœuf deux cents livres ; la journée d’un ouvrier, trente à quarante sous par jour ; les engagés recevaient trente à quarante écus par an[4]. »

Avant de quitter le Canada, Talon annonçait au ministre que l’habitant pouvait se vêtir, des pieds à la tête, avec les productions du pays et que l’on devait s’attendre, en administrant avec sagesse que dans peu de temps on ne tirerait plus de l’ancienne France que des objets de premières nécessités, c’est-à-dire provenant d’industries spéciales.

Les projets de Talon étaient encore plus vastes. Ainsi il écrivait en 1667 : « La colonie du Canada peut aider par ses productions à la subsistance de celle des Antilles et lui devenir un secours assuré si celui de la France lui manquait. Ce secours peut être de farine, de légumes, de poissons, de bois et d’huile, et d’autres choses qu’on n’a pas encore découvertes. »

Il se mit à l’œuvre sans retard et avec un succès marqué. M. de Villeray, « de tous les habitants du Canada le plus accommodé et qui s’applique le plus au commerce et même qui avait déjà des vaisseaux sur mer » écrivait Colbert à Frontenac (14 mai 1674) fut le premier à entrer dans les vues de Talon. En 1670 la mère de l’Incarnation disait : « L’on introduit encore un triple commerce, en France, aux îles de l’Amérique, et à Québec. Trois vaisseaux, chargés de planches de pin, de pois et de blé-d’Inde vont partir pour aller aux îles ; là ils déchargeront leur marchandises et se chargeront de sucre pour la France, d’où ils rapporteront ici les choses nécessaires pour fournir le pays, et ce triple commerce se fera en un an. L’on fait encore la pêche des morues à cent lieues d’ici, laquelle, étant bien entretenue, produira des revenus immenses. » Il ne faudrait pas croire, avec quelques écrivains

  1. Voir lettre de la mère de l’Incarnation du 27 août 1670.
  2. Le 23 mai 1671, le sieur Jollin fut autorisé à faire seul de la potasse en Canada.
  3. Il y avait aussi des brasseries à Québec et aux Trois-Rivières.
  4. M. l’abbé Desmazures : Colbert et le Canada, p. 35.