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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

(1690) au matin, avec une flotte imposante. Frontenac accourut de Montréal, entraînant sur ses pas les milices et les troupes régulières. Des palissades reliaient le palais de l’intendant à la haute ville et s’étendaient jusqu’au cap Diamant. Sur les quais on voyait des retranchements élevés à la hâte et quelques batteries destinées à jouer dans les intervalles des batteries supérieures. La population s’était mise à l’œuvre et des barricades se dressaient en face de toutes les issues. Aux premiers coups de canon partis de la basse ville, le pavillon de Phipps fut abattu ; des Canadiens allèrent l’enlever à la nage. Le 18, les Anglais firent mine de remonter jusqu’à Sillery, mais c’était pour masquer un débarquement à Beauport, où eut lieu une lutte acharnée. Charles Le Moyne de Longueuil commandait les Canadiens. Juchereau de Saint-Denis, seigneur de la paroisse, y eut un bras cassé en conduisant ses milices. Le lieutenant Alexandre-Samuel de Clermont et Joseph[1] Pezard de la Touche, fils du seigneur de Champlain, y furent tués. Jacques Le Moyne de Sainte-Hélène mourut le 4 décembre des blessures reçues dans ce combat ; c’était le plus habile artilleur de la colonie ; son fils, Jean-Bte Le Moyne de Martigny, a brillé par ses services militaires. Le lendemain soir de l’attaque sur Beauport, Phipps, repoussé de partout, mit à la voile et disparut.

Trois navires de France qui étaient entrés dans le Saguenay pour éviter la flotte anglaise, arrivèrent au milieu des réjouissances de la victoire. Le 8 novembre il y eut deux mariages, célébrés pompeusement : celui de M. de Vaudreuil avec Louise-Élizabeth de Joybert, et celui de M. de Ramesay avec Marie-Charlotte Denys. Le 1er juillet suivant, Jean-Bte Le Moyne de Martigny épousa Élizabeth Guyon. Paul LeMoyne de Maricourt, revenu de la baie d’Hudson en octobre 1690, mais qui avait repris la mer en apprenant la présence de Phipps devant Québec, se maria, le 29 octobre 1691, avec Mlle Madeleine Dupont de Neuville. C’étaient quatre Canadiennes qui contractaient des alliances très honorables comme on le voit.

« Par suite de la guerre, écrit M. Garneau, les colonies furent en proie à une disette extrême. En Canada, l’on fut obligé de faire nourrir les troupes par les habitants. L’argent avait disparu, et il fallut émettre une monnaie de carte. Les denrées et les marchandises n’avaient plus de prix ; les munitions de guerre manquaient, et l’intendant fut obligé de faire fondre les gouttières des maisons et les poids de plomb pour faire des balles. On avait perdu aussi un grande nombre d’hommes. La Nouvelle-Angleterre ne souffrit pas moins de la famine. Son commerce était presque anéanti, et l’océan était infesté de corsaires ; les seuls armateurs de Saint-Malo prirent seize navires de Boston. Ses campagnes étaient en friche et les paysans furent obligés de se réfugier dans les villes pour échapper au fer des sauvages et trouver des vivres. Pendant l’hiver, les Abénaquis dévastèrent plus de cinquante lieues de pays et détruisirent la petite ville d’York de fond en comble. »

L’hiver de 1690-91 des partis de Canadiens et de Sauvages ravagèrent les côtes de Boston. À peine les semences étaient-elles commencées, au printemps de 1691, que les

  1. Au recensement de 1666 il est nommé « Jacques » ; à celui de 1631 « Daniel ».