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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Québec n’était forte que par son assiette naturelle. D’après La Hontan : « La ville des Trois-Rivières (15 juin 1684) est une bicoque qui n’est fortifiée ni de pieux[1] ni de pierre. Les Algonquins, qui sont à présent des sauvages errants, sans demeure fixe, comme les Arabes, s’écartent peu des bords de cette rivière (le Saint-Maurice) où ils font de bonnes chasses de castors. Les Iroquois qui ont autrefois détruit les trois quarts de cette nation de ce côté-là, ont perdu l’envie d’y revenir depuis que les Français ont peuplé les pays qui sont plus avant sur le fleuve Saint-Laurent. Quand je donne le nom de bicoque à la ville des Trois-Rivières, j’entends son peu d’étendue et le petit nombre des ses habitants[2], car, d’ailleurs, elle est fort riche et bâtie magnifiquement. On m’a dit que les meilleurs soldats du pays étaient originaires de ce lieu-là… Le petit fort qui est situé au pied du saut, sur le bord du bassin de Chambly, n’a que de simples palissades… Les habitants qui demeurent aux environs, sont fort exposés aux courses des Iroquois en temps de guerre… M. le chevalier de Callières a débuté dans son gouvernement (de Montréal) par un dessein d’éclat : ç’a été de nous mettre à l’abri d’une nouvelle fortification. Si tôt donc qu’il fut installé, il ordonna aux habitants de cette ville, et des environs, d’aller dans la forêt couper des pieux de quinze pieds de longueur. Cet ordre fut applaudi, et on l’a exécuté cet hiver (1684-85) avec tant d’empressement que tous les pieux sont déjà ici (28 juin 1685). On doit les planter un de ces jours pour revêtir la ville de l’enceinte préméditée, et c’est à quoi l’on emploiera jusqu’à cinq ou six cents hommes…[3] Cette petite ville est ouverte, sans aucune fortification de pieux ni de pierres. Il serait aisé d’en faire un poste imprenable par l’avantage de la situation, quoique son terrain soit égal et sablonneux. Les petits vaisseaux sont contraints de s’arrêter au pied des maisons, en face de la ville, à cause des courants ; car à un demi-quart de lieue delà, on ne voit sur le fleuve que rapides, cascades, bouillons, etc. M. Perrot, gouverneur de la place, n’a que trois mille livres d’appointement ; mais comme il fait un grand négoce de pelleterie avec les sauvages il a, dit-on, amassé cinquante mille écus en fort peu de temps ; sachons lui en bon gré, monsieur, il est rare qu’un gouverneur ne s’enrichisse qu’aux dépens des bêtes. Il y a bailliage à Montréal, mais cette justice est gueuse ; l’herbe est ici trop courte et le pâturage manque ; une bonne mangerie de France engraisserait bien M. le baillif et ses officiers. La fortune n’est ici que pour les marchands, ceux-ci font bien leurs affaires, car les sauvages des grands lacs du Canada descendent, presque tous les ans, avec une quantité prodigieuse de castors qu’ils échangent pour des armes, des chaudières, des haches, des couteaux et mille autres marchandises sur lesquelles on gagne jusques à deux cents pour cent. Le gouverneur-général est fort exact à venir honorer de sa présence cette espèce de foire ; outre qu’il est le premier échangeur, ces sauvages lui font force présents qu’il reçoit plus volontiers que les placets ; ce sont des jours de récolte pour lui. Ce séjour me paraît assez agréable l’été, car on dit qu’il y pleut rarement en cette saison-là. »

  1. Le plan de l’ingénieur du roi, l’année suivante, montre une palissade très solide.
  2. Trente-six maisons en dedans de la palissade.
  3. Le droit de corvée inauguré par Frontenac une douzaine d’année auparavant et décrété, vers 1686, par le roi, soulevait les plaintes des habitants. Ce n’était pourtant que le début.