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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

« cela est admirable ! » et rien de plus. Qu’un Français leur parle des lois du royaume, de la justice, des mœurs et des manières des Européens, ils répéteront cent fois : « cela est raisonnable ! » qu’on leur parle de quelque entreprise qui soit d’importance ou difficile à exécuter, ou qui demande que l’on y fasse quelques réflexions, ils disent que « cela est de valeur ! » sans s’expliquer plus clairement, et ils écouteront jusqu’à la fin avec une grande attention. Cependant il faut remarquer que lorsqu’ils sont avec des amis, sans témoins, et surtout dans le tête-à-tête, ils raisonnent avec autant de hardiesse que lorsqu’ils sont dans le conseil. Ce qui paraîtra extraordinaire, c’est que n’ayant pas d’étude, et suivant les pures lumières de la nature, ils soient capables malgré leur rusticité, de fournir à des conversations qui durent souvent plus de trois heures, lesquelles roulent sur toutes sortes de matières, et dont ils se tirent si bien, que l’on ne regrette jamais le temps qu’on a passé avec ces philosophes rustiques. »

À l’assemblée tenue le 12 novembre 1682, M. de la Barre avait fait sanctionner la demande de quinze cents nouveaux colons « afin de remplacer les habitants partis pour l’armée. » Sa dépêche resta sans réponse. Il voulait aussi pouvoir compter sur deux ou trois cents soldats, dont une partie destiné à la Galette et à Cataracoui, et il ajoutait : « Il serait facile aux Iroquois de détruire successivement tous ceux qui pourront s’opposer au dessein qu’ils ont de se rendre maîtres de l’Amérique septentrionale et obliger les Français de quitter la colonie, par le secours des Anglais et Hollandais. » Le gouverneur demandait mille fusils à bon marché et autant d’épées pour les donner aux habitants aux prix de France.

La ville de Québec, déjà forte par sa situation, n’avait point de murailles. La ville des Trois-Rivières était entourée d’une palissade en ruine. Montréal, plus exposé, demandait d’être mis à l’abri d’un coup de main. Aussitôt en fonction, M. de Denonville s’occupa de ce soin ; l’automne (1685) n’était pas expiré qu’il avait visité la place et donné ses ordres en conséquence. Le chevalier de Callières, ancien capitaine au régiment de Navarre, et qui venait d’arriver de France, fut nommé gouverneur. En même temps, M. Denonville renvoyait les capitaines[1] d’Esnos ou Hainaut, Montortier et du Rivaux[2], et plusieurs autres officiers, rapporte La Hontan. Cinq cents soldats partis de France, sous les ordres des capitaines d’Orvilliers, Saint-Circq, Macary, de Flour, de Troyes, Daneau, Dumuy, des Meloises, Clément de Valrennes, des Bergères et d’Esquérac, des lieutenants de la Motte, Desjordis, aîné, Desjordis, cadet, Larivière, Chaufour et Ramsay, étaient attendus à Québec ; lorsque le navire mouilla l’ancre on apprit que cent cinquante de ces militaires étaient morts durant la traversée. Néanmoins, depuis que le régiment de Carignan s’était dispersé sur les terres, la colonie n’avait point vu autant de soldats dans ses garnisons. Les compagnies furent logées un peu partout, dans les paroisses. M. de Denonville, écrit La Hontan, « est venu à Montréal avec cinq ou six cents hommes de troupes réglées. Il nous a tous mis en quartier d’hiver dans les différentes habitations des côtes, Mon quartier s’appelle Boucher-

  1. La Hontan les appelle capitaines de vaisseaux.
  2. Commandait une compagnie franche.