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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

sommes des misérables dont la vie ne tient à rien, que nous nous dégradons de notre condition, en nous réduisant à la servitude d’un seul homme qui peut tout, et qui n’a d’autre loi que sa volonté ; que nous nous battons et querellons incessamment, que les enfants se moquent de leurs pères, que nous ne sommes jamais d’accord ; que nous nous emprisonnons les uns les autres ; et que même nous nous détruisons en public. Ils s’estiment au delà de tout ce qu’on peut s’imaginer, et allèguent pour toute raison qu’ils sont aussi grands maîtres les uns que les autres, parce que les hommes étant pétris d’un même limon, il ne doit point y avoir de distinction, ni de subordination entre eux. Ils prétendent que leur contentement d’esprit surpasse de beaucoup nos richesses ; que toutes nos sciences ne valent pas celle de passer la vie dans une tranquillité parfaite ; qu’un homme chez nous ne vaut qu’autant qu’il est riche, mais que parmi eux, il faut pour être homme avoir le talent de bien courir, chasser, pêcher, tirer un coup de flèche et de fusil, conduire un canot, savoir faire la guerre, connaître les forêts, vivre de peu, construire des cabanes, couper des arbres, et savoir faire cent lieues dans les bois sans autres guide ni provision que son arc et ses flèches. Ils disent encore que nous sommes des trompeurs qui leur vendons de mauvaises marchandises quatre fois plus qu’elles ne valent, en échange de leurs castors ; que nos fusils crèvent à tout moment et les estropient, après les avoir bien payés. Je voudrais avoir le temps de vous raconter toutes les sottises qu’ils disent touchant nos manières ; il y aurait de quoi m’occuper dix ou douze jours.

« Ils ne mangent que du rôti et du bouilli, avalant quantité de bouillons de viande et de poisson. Ils ne peuvent souffrir le goût du sel, ni des épiceries ; ils sont surpris que nous puissions vivre trente ans, à cause de nos vins et de nos épiceries. Ils dînent ordinairement quarante ou cinquante de compagnie, et quelquefois ils sont plus de trois cents. Le prélude est une danse de deux heures avant le repas, chacun y chantant ses exploits et ceux de ses ancêtres. Celui qui danse est seul en cette occasion, et les autres sont assis sur le derrière, qui marquent la cadence par un ton de voix hé ! hé ! hé ! hé ! — et chacun se lève à son tour pour faire sa danse. La plus grande passion des Sauvages, est la haîne implacable qu’ils portent à leurs ennemis, c’est-à-dire, à toutes les nations avec lesquelles ils sont en guerre ouverte. Ils se piquent aussi beaucoup de valeur, mais à cela près ils sont de la dernière indolence sur toutes choses. L’on peut dire qu’ils s’abandonnent tout-à-fait à leur tempéramment, et que leur société est toujours machinale. Ils n’ont ni lois, ni juges, ni prêtres ; ils ont naturellement du penchant pour la gravité, ce qui les rends fort circonspects dans leurs paroles et dans leurs actions. Ils gardent un certain milieu entre la gaieté et la mélancolie. Notre vivacité leur paraît insupportable, et il n’y a que les jeunes gens qui approuvent nos manières. »

« Qu’on vienne annoncer à un père de famille que ses enfants se sont signalés contre les ennemis et qu’ils ont fait plusieurs esclaves, il ne répondra que par un : « voilà qui est bien ! » sans s’informer du reste. Qu’on lui dise que ses enfants ont été tués, il dit d’abord : « cela ne vaut rien ! » sans demander comment la chose est arrivée. Qu’un jésuite leur prêche les vérités de la religion chrétienne, les prophéties, les miracles, etc., ils le paieront d’un :