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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

portent leur cheveux roulés derrière le dos avec une espèce de ruban, et ce rouleau leur pend jusqu’à la ceinture ; elles ne les coupent jamais, les laissant croître pendant toute leur vie, sans y toucher, au lieu que les hommes les coupent tous les mois. Il serait à souhaiter qu’ils suivissent les autres avis de saint Paul par le même hasard qu’ils suivent celui-là. Elles sont couvertes depuis le cou jusqu’au-dessous des genoux, croisant leurs jambes lorsqu’elles s’assoient.

« Leurs villages sont fortifiés de doubles palissades d’un bois très dur, grosses comme la cuisse, de quinze pieds de hauteur, avec de petits carrés au milieu des courtines. Leurs cabanes ont ordinairement quatre-vingts pieds de longueur, vingt-cinq ou trente de largeur, et vingt de hauteur. Elles sont couvertes d’écorce d’ormeau ou de bois blanc. On voit deux estrades, l’une à droite et l’autre à gauche, de neuf pieds de largeur, et d’un pied d’élévation. Ils font leurs feux entre ces deux estrades, et la fumée sort par des ouvertures faites sur le sommet de ces cabanes. On voit de petits cabinets ménagés le long de ces estrades, dans lesquels les filles ou les gens mariés ont coutume de coucher, sur de petits lits élevés d’un pied tout au plus. Du reste, trois ou quatre familles demeurent dans une même cabane. Les Sauvages sont forts sains et exempts de quantité de maladies dont nous sommes attaqués en Europe, comme de paralysie, d’hydropisie, de goutte, de phthisie, d’asthme, de gravelle et de pierre. Ils sont sujets à la petite vérole et aux pleurésies. Quand un homme meurt à l’âge de soixante ans, ils disent qu’il est mort jeune, parce qu’ils vivent ordinairement quatre-vingts, jusqu’à cent ans, et même j’en ai vu deux qui allaient beaucoup au delà.

« Les Sauvages ne connaissent ni le tien ni le mien, car on peut dire que ce qui est à l’un est à l’autre. Lorsqu’un Sauvage n’a pas réussi à la chasse des castors, ses confrères le secourent sans être priés. Si son fusil se crève ou se casse, chacun d’eux s’empresse à lui en offrir un autre. Si ses enfants sont pris ou tués par les ennemis, on lui donne autant d’esclaves qu’il en a besoin pour le faire subsister. Il n’y a que ceux qui sont chrétiens, et qui demeurent aux portes de nos villes, chez qui l’argent soit en usage. Les autres ne veulent ni le manier, ni même le voir ; ils l’appellent le serpent des Français. Ils disent qu’on se tue, qu’on se pille, qu’on se diffâme, qu’on se vend, et qu’on se trahit parmi nous pour de l’argent ; que les maris vendent leurs femmes, et les mères leurs filles pour ce métal. Ils trouvent étrange que les uns aient plus de bien que les autres, et que ceux qui en ont le plus soient estimés davantage que ceux qui en ont le moins. Enfin ils disent que le titre de Sauvages dont nous les qualifions, nous conviendrait mieux que celui d’hommes, puisqu’il n’y a rien moins que de l’homme sage dans toutes nos actions. Ceux qui ont été en France m’ont souvent tourmenté sur tous les maux qu’il y ont vu faire, et sur les désordres qui se commettent dans nos villes, pour de l’argent. On a beau leur donner des raisons pour leur faire connaître que la propriété des biens est utile au maintien de la société ; ils se moquent de tout ce qu’on peut dire sur cela. Au reste, ils ne se querellent, ni ne se battent, ni ne se volent, et ne médisent jamais les uns des autres. Ils se moquent des sciences et des arts ; ils se raillent de la grande subordination qu’ils remarquent parmi nous. Ils nous traitent d’esclaves, ils disent que nous