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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

d’obtenir la permission de passer en France, où il espérait trouver un moyen de gagner sa vie. Sa femme et ses dix enfants étaient au désespoir : « Je les confierai, s’écriait-il, à quiconque pourra leur donner du pain. » Cependant, ajoute M. Denonville, cette famille est active ; j’ai trouvé deux des filles occupées à couper le blé et M. de Saint-Ours tenait les manchons de la charrue et ils ne sont pas les seuls, dans cette condition déplorable ! Ils viennent à moi tout en larmes. Le moment est arrivé de pourvoir à leurs plus pressants besoins, autrement ils seront tentés de passer aux Anglais. Nos officiers mariés sont de vrais mendiants. Les conseillers du conseil souverain ne sont pas davantage favorisés du sort. On arrête leurs fils qui se sont fait coureurs de bois. Enfin, il faut du secours.

Le roi envoya quelque argent et fit dire aux nécessiteux qu’ils devaient se mettre au travail et moins trancher des gens de qualité. C’était sec et peu juste, car enfin, le roi avait insisté pour que ces personnes vinssent dans la colonie et il ne pouvait s’attendre à les voir labourer la terre ou couper des arbres comme l’habitant dont c’était la profession. Ce dernier jouissait du fruit de son labeur et de ceux de son père ; il était le vrai seigneur du Canada. Les demandes d’argent adressées par les gouverneurs à la cour de France ne concernaient en rien l’habitant ; elles touchaient tout au plus une vingtaine de familles de la classe de la noblesse ou des conseillers, car plusieurs gentilshommes avaient du bien et savaient en tirer parti, notamment Le Gardeur, Le Neuf, Le Moyne, Boucher, Robineau, Villeray, de Saurel et Chartier de Lotbinière.

Au premier abord, si l’on en croit M. de Meulles, le nombre des nobles pouvait paraître prodigieux, car « tout le monde à peu près se qualifie de gentilhomme et prend le titre d’écuyer », mais cette innocente manie n’empêche pas une partie de la noblesse d’avoir été la seule à souffrir ou des circonstances défavorables ou de son fol esprit de grandeur. Le roi le comprit et, tout en déclarant qu’il n’accorderait plus de lettres de noblesse, il envoya six commissions des troupes de la marine avec ordre de ne les confier qu’à des fils de nobles tombés dans le dénuement.

Le nom de « troupes de la marine » provenait de ce que, en prenant la direction de la marine, Colbert s’était fait remettre le budget des régiments employés aux colonies, au lieu de le laisser au ministre de la guerre. Recevant leur solde du bureau de la marine, ces troupes passèrent dès lors sous ce nom, mais elles ne faisaient point le service maritime.

Une aussi triste situation, néanmoins, réclamait l’aide de la cour. Charlevoix écrivant en 1720, cinq années après la mort de Louis XIV, dit : « C’est sans doute une des raisons qui ont engagé le feu roi à permettre « à tous les nobles et gentilshommes de faire le commerce, tant par mer que par terre, sans qu’ils puissent être recherchés, ni réputés avoir dérogé. » Ce sont les termes de l’arrêt qui fut rendu par le conseil, le dixième de mars 1685. Au reste, il n’y a en ce pays aucune seigneurie, mêmes celles qui sont titrées, à laquelle le droit de patronage soit attaché, car, sur la prétention de quelques seigneurs, fondée sur ce qu’ils avaient fait bâtir l’église paroissiale, Sa Majesté, étant en son conseil, prononça, la même année 1685, que ce droit n’appartenait qu’à l’évêque, tant parce qu’il est plus en état qu’au-