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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Ignorant les besoins causés par la vigueur du climat et par le prix élevé des choses nécessaires à la vie, le ministre aurait voulu établir les choses comme elles l’étaient en France[1]. D’ailleurs, le pays s’était peuplé au hasard[2], et dans les campagnes les maisons s’étaient bâties de loin en loin[3], au gré des particuliers. Comme il était impossible de donner aux cures des limites raisonnables[4], il n’était pas aisé de fixer des cures ; il fallait démembrer, séparer, multiplier les paroisses[5] pour la commodité des pasteurs et du peuple. Il fallait changer[6] les pasteurs dans un pays où les missions[7], de jour en jour prenaient une nouvelle face ; ces changements étaient alors d’autant plus faciles que le clergé du Canada appartenant à des communautés, les supérieurs étaient les maîtres absolus de tous les ouvriers évangéliques[8]. Mgr de Laval comprenait[9] mieux, de jour en jour, les difficultés qui l’environnaient. Au milieu de son clergé qui, jusqu’alors s’était montré si zélé pour le salut du peuple, et si docile[10] à la voix de son évêque, il lui fallait introduire des pasteurs nouveaux[11], dont il ne lui était pas facile d’étudier les dispositions[12]. Son humilité[13] lui persuadait qu’un autre serait plus propre que lui à conduire l’église du Canada. » Il est bon de comparer ces assertions de Mgr. de Laval (car M. Ferland ne fait que les reproduire en les résumant) avec le recensement de 1681 et la carte cadastrale de 1685, pour savoir à quoi s’en tenir sur la prétendue pauvreté des habitants et la manière dont ils s’étaient groupés sur les terres.

La question de la baie du Nord occupait enfin sérieusement l’attention de ceux qui tenaient la main à l’administration du Canada. Chouart et Radisson avaient abandonné les Anglais vers 1676[14]. Charlevoix dit qu’ils étaient retournés en France d’abord, et que le roi avait donné permission à Chouart de revoir le Canada. Selon les notes publiées par la société Historique de New-York, Chouart aurait fait un voyage au port Nelson en 1673 et l’année suivante il était au fort Rupert trafiquant à la rivière l’Orignal ou Moose pour ses patrons et associés les Anglais. Peu après on découvrit qu’il entretenait des relations avec les Français et il fut renvoyé, ce qui l’induisit à partir pour la France, où il obtint la permission (1676) de retourner en Canada, avec le privilège d’y faire la pêche du marsouin et du loup-marin. Quant à Radisson il alla servir dans les îles françaises de l’Amérique sous le maréchal d’Estrées. Vers 1680, il était à Québec, proposant à Frontenac de faire des établissements le long des côtes

  1. Colbert demandait que l’on formât des villages, ce à quoi les habitants s’opposaient avec raison.
  2. Loin de là ! Les habitations de chaque seigneurie étaient échelonnées sur une seule grande route, et les seigneuries se suivaient.
  3. Une maison sur chaque terre comme aujourd’hui.
  4. La paroisse c’est la seigneurie. Sur une soixantaine de seigneuries habitées en 1681, la moitié comptaient plus de vingt familles. Comment fait-on de nos jours à l’égard des anciennes seigneuries bien peuplées et des nouvelles qui renferment à peine quelques ménages ? On dessert ces dernières par le moyen du curé le plus voisin.
  5. Grande difficulté ! Cela se fait encore tous les mois.
  6. Pourquoi les changer ? À mesure que le pays se développe, on ajoute des curés, voilà tout.
  7. Les missions finissaient par devenir paroisses.
  8. Ce n’étaient pas les habitants qui avaient combiné cette organisation à plusieurs têtes.
  9. Depuis vingt-cinq ans, on ne cessait de le lui faire remarquer, mais il n’écoutait point.
  10. Son clergé, c’était celui de tout le Canada. Si l’évêque eût voulu se conformer aux vœux du peuple, le clergé eût donc docilement suivi ses instructions ? En 1681, il avait cent neuf prêtres dans son diocèse, dont à peu près soixante et quinze dans le Bas-Canada.
  11. Faute d’avoir créé un clergé national, c’est-à-dire pris dans le pays.
  12. Les prêtres venus de France avant 1684 étaient en général sans reproche. Pourquoi craignait-on, à partir de cette date, de ne pas rencontrer les mêmes caractères chez ceux qui seraient appelés au Canada ?
  13. Se sentant battu, il cédait le terrain.
  14. Le 27 avril 1676, à Québec, un certain Pierre Chouart épousa Madeleine Faye dit Vilfagnon. — (Tanguay, Dict., I, 229).