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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

manifeste et la guerre devenait inévitable. Au printemps (1684) un détachement de soldats partit de Québec pour Cataracoui. Au commencement de juin, le gouverneur débarqua à Montréal avec le reste de ses troupes et des sauvages hurons et algonquins. Les milices ne se firent pas attendre ; elles prenaient le mousquet pour ne les déposer que soixante et seize ans plus tard. Trois cent cinquante guerriers sauvages, sept cents Canadiens et cent trente soldats composaient cette petite armée. La milice était divisée en trois corps sous les ordres de René Robineau de Bécancour[1], François Chorel[2] et Sidrac Duguay[3]. Le premier août on était au lac Saint-François ; le 21 les troupes campaient à l’anse de la Famine, bord oriental du lac Ontario, non loin d’Ogdensburg aujourd’hui. Dongan commit en ce moment une faute majeure : il déclara les territoires des cantons iroquois propriété de l’Angleterre et défendit le commerce avec les Français. Charles Le Moyne de Longueuil, envoyé avec quelques-uns de ses fils, en députation chez les Iroquois, engagea ces derniers à s’entendre avec M. de la Barre et le 3 septembre il revint à la Famine accompagné de plusieurs chefs qui conclurent la paix sans trop concéder de leurs anciennes prétentions. L’intendant de Meulles accuse le gouverneur d’avoir sacrifié la colonie en vue de favoriser le commerce qu’il faisait avec les sauvages. L’armée française, du reste, n’était plus belle à voir : la disette et les maladies l’avaient rudement éprouvée. De là le nom d’anse à la « Famine » que prit le lieu de son campement lequel fut transformé en poste de la « Galette » quelques années plus tard.

Un renfort considérable venant de l’ouest arriva trop tard pour se joindre à l’expédition et dût s’arrêter à Niagara. C’était un gros de cinq cents sauvages, Hurons, Outagamis, Outaouais que Daniel Greysolon du Luth et Olivier Morel de la Durantaye avaient déterminés à les suivre avec l’aide tout puissant de Nicolas Perrot ; deux cents Canadiens et Français s’étaient joints à eux. Ils éprouvèrent tous un profond désappointement à la nouvelle de la conclusion de la paix ; les sauvages de l’ouest saisirent le côté politique de la question, qui n’était pas à leur avantage, et retournèrent chez eux mécontents.

La santé de Mgr de Laval était devenue chancelante ; le prélat songeait à se faire remplacer. Le 6 novembre 1684, il établit dans la cathédrale de Québec un chapitre composé de douze chanoines et de quatre chapelains ; l’installation eut lieu le 12 ; deux jours après Monseigneur partit pour la France. M. l’abbé Ferland dit : « Il comprenait qu’il n’avait plus l’énergie suffisante pour lutter contre les exigences[4] du ministre, qui avait hérité des préjugés[5] de son père[6] contre l’évêque[7] de Québec. On voulait forcer Mgr de Laval à établir des cures fixes[8] dans un diocèse où les paroisses n’étaient pas en état de soutenir leurs pasteurs[9].

  1. Établi en Canada depuis 1646 au moins.
  2. Dit le sieur d’Orvilliers, aussi Saint-Romain. Il était arrivé avant le régiment de Carignan, et comme Robineau et Duguay, vivait très bien de son industrie.
  3. Sieur de la Boulardière, ancien capitaine au régiment de Carignan. L’un des beaux types de cette époque.
  4. Ces exigences étaient celles des habitants.
  5. M. Ferland qualifie de préjugés tout ce qui ne lui plaît pas.
  6. Le marquis de Seignelay avait succédé comme ministre à Colbert, son père.
  7. Louis XIV ne s’est-il pas exprimé nettement au sujet de M. de Laval ? Voyez ses lettres dans le présent ouvrage.
  8. Les habitans le demandaient depuis longtemps lorsque le roi y força Mgr de Laval.
  9. Frontenac écrivait en 1673 que les habitants récoltaient beaucoup plus de blé qu’il ne leur en fallait pour se nourrir. Avant lui Talon avait dit que pour le vêtement nous n’avions plus recours à la France. La dette du Canada était nulle. Le recensement de 1681 témoigne d’une situation très prospère. Rien ne justifie ce texte de M. Ferland.