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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

L’étude du recensement de 1667 démontre que les jeunes filles venues de Paris sont en très petit nombre. On se demande comment a été créée la légende qui veut que nous ayons tiré de cette partie de la France le plus grand nombre des femmes du Canada. Nous répondons que l’Histoire écrite est constamment exposée à ces falsifications. Le premier venu adresse une lettre irréfléchie ou compose un récit incorrect dont s’emparent ensuite les écrivains, et, de l’un à l’autre de ces derniers, la chose, ainsi mal comprise, mais colportée sans critique, devient parole d’Évangile. Notons aussi la malice, qui ajoute au malentendu ou qui invente des faits pour le plaisir du lecteur. La Hontan a beaucoup cultivé cette dernière veine, et il peut être regardé comme le père d’une calomnie contre laquelle il semble impossible de se défendre à deux siècles d’intervalle. Néanmoins, les documents et les papiers contraires existent. Qui veut les étudier peut réfuter La Hontan. Il est facile de se rendre compte de la situation du pays à l’époque dont nous parlons. Chacun sait que l’envoi des « filles du roi » n’a duré que deux ou trois ans ; le nombre en était très restreint. Après 1667, il n’en est pas venu — c’est la Normandie qui alors a remplacé Paris. Comment donc les Parisiennes sont-elles si rares aux recensements de 1666 et 1667 ?

Plus tard, vers 1686, nous aurons à revenir sur le sujet ; car, à la nouvelle que la police emprisonnait et transportait aux colonies les femmes suspectes de la capitale de la France, des écrivains mal renseignés glissèrent le nom du Canada dans des lettres qui, après avoir couru sous le manteau, finirent par être imprimées. Le moindre examen de cette question nous explique l’erreur dans laquelle sont tombés des hommes tout à fait ignorants de l’état des colonies et si peu forts en géographie que « leur » Nouvelle-France se trouve placée dans le golfe du Mexique.

Les racontars de La Hontan et du chevalier de Beauchêne ont fait croire que le Canada se remplissait de femmes qui étaient les rebuts de la société française, durant la période qui va de 1670 à 1700. Rien n’est plus faux que cette croyance. La seule inspection des recensements de 1666-1667 montre que le nombre des femmes veuves ou des filles non-mariées était à peu près le même que celui des hommes non-mariés ; en 1670, l’intendant et le gouverneur constatent que la population des deux sexes est parfaitement équilibrée, et qu’il ne faut plus laisser embarquer de femmes pour le Canada. En 1681, le recensement maintient cette situation. Deux ans plus tard, Colbert étant décédé, on ne s’occupa plus de nous envoyer des colons. La guerre s’ouvrit (1684), et l’on peut dire que, jusqu’à 1713, les Canadiens restèrent en armes ; dans ces conditions, il est certain que notre pays n’a pas dû tenter les gens dont parlent Beauchêne et La Hontan.