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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Rivières. Cette retraite marquait le terme des cruelles invasions dont les Trifluviens avaient tant souffert depuis un quart de siècle.

Songeons un moment au spectacle qu’offraient ces troupes défilant sur le grand fleuve et présentant aux regards étonnés et ravis des Français nés au Canada un déploiement de force qu’ils n’avaient jamais vu. Ces Canadiens avaient été élevés dans l’espérance de voir la Couronne prendre pitié du jeune et vaillant peuple qui, à plus de mille lieues de la France, se sacrifiait au bénéfice de l’idée française ; chaque enfant de ce groupe de héros avait appris, hélas ! graduellement, jour par jour, à perdre confiance dans le cœur et le bras de la mère-patrie. Mais le sort allait tourner : la plus fidèle des colonies recevait des secours ; une fois les féroces ennemis abaissés ou anéantis, un jour nouveau devait luire sur la Nouvelle-France ! Faut-il s’étonner maintenant d’avoir vu tant de fils de colons canadiens se faire soldats de profession, gagner leurs épaulettes dans les armées françaises et revenir au pays commander nos incomparables milices, qui surent lutter avec adresse, bravoure, patience et succès contre les meilleurs régiments anglais ?

Et les soldats de Carignan ! Victorieux dans les plaines de la Hongrie, vétérans basanés par le climat brûlant de l’Italie, songeaient-ils, en abordant ici au milieu de la saison chaude, que bientôt leur courage, ayant dispersé les Iroquois, aurait à s’exercer contre les glaces et les intempéries des hivers canadiens — plus que cela ! qu’ils resteraient eux-mêmes parmi nous, et qu’ils contribueraient largement à fonder la nation la plus vigoureuse que jamais race européenne ait transplantée sur un sol étranger ?

Les réjouissances furent encore augmentées par l’apparition de la flottille de traite des grands lacs. Les Outaouais, au nombre de plus de quatre cents, montés sur cent canots bien chargés de pelleteries, étaient assez mal armés ; néanmoins, ils avaient repoussé deux attaques des Iroquois, et mirent pied à terre, aux Trois-Rivières, le 3 août, où ils furent réconfortés par l’aspect des troupes qui y attendaient un vent favorable pour traverser le lac Saint-Pierre. La situation rappelait les événements du mois d’août 1642, mais beaucoup en mieux. Les Outaouais ramenaient un Français parti avec eux l’automne précédent. Ces sauvages appartenaient à quatre tribus ou nations du lac Supérieur.

La traite, le commerce en général auguraient une ère de prospérité par suite des changements apportés dans les affaires de la colonie.

Une partie des volontaires et des sauvages, sous la conduite des sieurs de Tilly et de Repentigny, partit pour donner la chasse aux Iroquois. Il n’en fallut pas davantage pour obliger ces barbares à faire retraite, et le fruit de cette première expédition fut que les récoltes se firent en toute liberté.

Le 28 juillet, la mère de l’Incarnation écrivait : « M. de Tracy est arrivé, il y a plus de quinze jours, avec un grand train et quatre compagnies, sans parler de deux cents hommes de travail. Enfin, il doit y avoir deux mille personnes, tant en ce qui est venu qu’en ce qui reste à venir. »

Les capitaines Saurel, Chambly et Fromont mirent à la voile, des Trois-Rivières, les 8