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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

« Après ces premières connaissances, il sera à propos de s’éclaircir soigneusement de la fertilité de la terre, à quoi elle est propre, quelles semences ou légumes y viennent plus aisément, la quantité de terres labourables qu’il y a, celles que l’on pourrait défricher dans peu de temps, et quelle culture l’on pourrait leur donner.

« Et comme l’établissement que le roi prétend faire au dit pays dépend en quelque façon de celui qui a été fait par la compagnie[1] qui s’était formée pour cela par la permission du feu roi, il sera bon de faire une description des trois habitations de Québec, Montréal et des Trois-Rivières, du nombre des familles qui les composent, et combien il peut y avoir d’âmes tant de l’un que de l’autre sexe, à quoi particulièrement les habitants s’appliquent, en quoi consiste leur commerce, les moyens qu’ils ont de subsister et d’élever leurs enfants.

« Le dit sieur Gaudais étant informé que la principale chose qu’il faut examiner pour la manutention des colonies du dit pays, et pour leur augmentation étant de défricher la plus grande quantité de terres qu’il se pourra, et de faire en sorte que tous les habitans soient unis dans leurs demeures, et qu’ils ne soient pas éloignés les uns des autres d’une grande distance, sans quoi ils ne peuvent s’assister pour toutes les choses qui regardent la culture de leurs champs, mais même sont exposés aux insultes des sauvages et particulièrement des Iroquois, lesquels, par le moyen de cette séparation, peuvent venir presque à couvert dans les bois jusqu’aux habitations des dits Français, les surprennent facilement, et parce qu’ils ne peuvent être secourus, les massacrent et font déserter ainsi ces habitations qui sont éparses qui ça qui là, il n’y a rien de si grande conséquence que de travailler à réunir les dits habitans en des corps de paroisses ou bourgades[2], et à les obliger à défricher leurs terres de proche en proche, afin de s’entre secourir au besoin, et quoique ce moyen fut le plus certain, il trouvera assurément, étant sur les lieux, que le peu de soin et de connaissance que la compagnie qui a ci-devant possédé le pays en a eu, et l’avidité de ceux qui ont voulu s’y habituer, lesquels ont toujours demandé des concessions de terres de grande étendue, dans lesquelles ils se sont établis, ont donné lieu à cette séparation d’habitations, qui se trouvant fort éloignées les unes des autres, non seulement les particuliers qui ont obtenu des concessions n’ont pas été en état d’en faire les défrichements, mais même a donné grande facilité aux Iroquois à couper la gorge, massacrer et rendre désertes presque toutes les dites habitations, et c’est ce qui a obligé le roi de rendre l’arrêt[3] dont la copie est mise entre les mains du dit sieur Gaudais, ensemble de faire écrire au sieur évêque de Petrée, de remettre entre ses mains l’original du dit arrêt, pour le faire publier et afficher partout aussitôt après son arrivée.

« Et comme il voit clairement par les raisons ci-dessus expliquées, qu’il est impossible de se pouvoir jamais assurer de ce pays et d’y faire des habitations considérables, que l’on n’oblige tous ceux qui ont eu ces concessions de les abandonner, et de s’unir en des bourgades et paroisses les plus nombreuses qu’il se pourra pour défricher toutes les terres qui se

  1. Les Cent-Associés.
  2. Les Canadiens résistèrent toujours à ce projet, qui ne fut pas exécuté.
  3. Arrêt du 21 mars 1663. Voir plus haut.