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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

La première idée d’un commerce basé, non plus sur les besoins du Canada, mais sur les produits mêmes de ce pays, est venue des Canadiens. MM. Louis d’Ailleboust, d’Auteuil, Jean-Paul Godefroy, Pierre Denis et d’autres s’occupèrent, dès 1653, des pêcheries au-dessous de Québec et des bois de construction si abondants à deux pas de nos défrichements. Les Antilles et la France étaient l’objectif de ces entreprises. On voulait établir un courant d’affaires, entre les ports français des deux côtés de l’océan.

La traite avec l’intérieur de l’Amérique du Nord attirait aussi l’attention. Si les bords du fleuve étaient privés dorénavant de ces bénéfices, par suite de l’établissement des terres, tout indiquait que, en pénétrant plus loin, une nouvelle ère commerciale devenait possible. En 1653, les jésuites se félicitent de ce que la paix va permettre aux missionnaires « d’ouvrir un grand chemin vers les nations supérieures, dont la guerre nous avait chassés ». L’année suivante, ils ajoutent : « Une lettre, venue de Sillery, dit qu’on découvre tous les jours de nouvelles nations de la langue algonquine. J’espère de voir dans quelque temps, dit un père, les terres, ou plutôt les bois qui sont sur les bords de la mer du côté du nord, où il y a des bourgades de sauvages qui parlent comme nos Montagnais que nous entendons ; ces peuples n’ont encore jamais vu aucun Européen. Ils se servent encore de haches de pierre. Ils font bouillir leur viande dans de longs plats d’écorce qui leur servent de chaudières, comme faisaient autrefois nos sauvages. Ils n’ont aucuns ferrements ; tous leurs outils sont d’os, ou de bois ou de pierre… Un autre dit que, dans des îles du lac des Gens-de-Mer, que quelques-uns appellent mal à propos les Puants[1], il y a quantité de peuples dont la langue a grand rapport avec l’algonquine ; qu’il n’y a que neuf jours de chemin depuis ce grand lac jusqu’à la mer qui sépare l’Amérique de la Chine, et que s’il se trouvait une personne qui voulût envoyer trente Français en ce pays-là, non-seulement on gagnerait beaucoup d’âmes à Dieu, mais on retirerait encore un profit qui surpasserait les dépenses qu’on ferait pour l’entretien des Français qu’on y enverrait, pour ce que les meilleures pelleteries viennent plus abondamment de ces quartiers-là. Le temps nous découvrira ce que nous ne savons encore que par le rapport de quelques sauvages, qui nous assurent avoir vu de leurs yeux ce qu’ils expriment de leur bouche. »

Le 20 avril 1657, huit Français des Trois-Rivières, avec vingt canots de sauvages algonquins, partent pour la traite des Attikamègues. « Ils entrèrent dans les terres par la rivière Batiscan, qui est six lieues au-dessous des Trois-Rivières. Ils passèrent dans cette rivière vingt-huit saults en quatorze jours. Ils arrivèrent au terme de leur voyage le 28 mai, après avoir passé soixante et quatorze saults ou portages. Ils retournèrent aux Trois-Rivières le 15 juillet chargés de castors. Le voyage est rude, long et hazardeux ; néanmoins, il fut heureux. Il n’y eut qu’un seul Français qui y périt en tombant dans un rapide en glissant, où il se noya. Ils y virent des Poissons-Blancs qui demandent à prier Dieu, des Agouing8i8ek et des Kiristinons, qui sont proches de la mer du nord. »

  1. Il s’agit de la baie Verte du lac Michigan.