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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

seules années 1658 et 1659, il arriva près de deux cents hommes et une quarantaine de filles. Si nous ajoutons les gens amenés en 1662 par M. Boucher, on comprend que le pays renfermait, au commencement de 1663, entre deux mille et deux mille cinq cents âmes ; car il faut tenir compte des naissances survenues durant les dix dernières années. Quant à la population flottante, autrement dite « française, » nous répétons ce qui a été affirmé en 1653 : elle était insignifiante comme nombre.

« Vers 1660, dit M. Ferland, les enfants nés dans le pays formaient déjà une part considérable de la population. Autour du noyau primitif vinrent successivement s’aglomérer les immigrations postérieures qui en modifièrent un peu le caractère, sans néanmoins le changer notablement. »

La mère de l’Incarnation écrivait, le 25 juin 1660 : « L’hiver a été extraordinaire cette année, en sorte que personne n’en avait encore jamais vu un semblable. Nous ne pouvions échauffer ; nos habits nous semblaient légers comme des plumes. Quelques-unes de nous étaient abandonnées (résignées) à mourir de froid. » Dans un pays où le bois de chauffage abonde, ceci a lieu de surprendre.

À la même date, la digne religieuse raconte les dangers de la guerre des Iroquois. C’était quelques jours après le combat du Long-Sault, où Dollard s’était sacrifié avec ses seize compagnons : « L’on avait conjecturé ici (à Québec) que l’issue de cette affaire serait telle qu’elle est arrivée, savoir que nos dix-sept Français et nos bons sauvages[1] seraient les victimes qui sauveraient tout le pays, car il est certain que, sans cette rencontre, nous étions perdus sans ressource, parce que personne n’était sur ses gardes[2], ni même en soupçon que les ennemis dussent venir. Ils devaient néanmoins être ici à la Pentecôte (16 mai), auquel temps les hommes étant à la campagne, ils nous eussent trouvés sans force et sans défense ; ils eussent tué, pillé et enlevé hommes, femmes et enfants, et quoiqu’ils n’eussent pu rien faire à nos maisons de pierre, venant fondre néanmoins avec impétuosité, ils eussent jeté la crainte et la frayeur partout. On tient pour certain qu’ils reviendront à l’automne (prochain) ou au printemps[3] de l’année prochaine, c’est pourquoi on se fortifie dans Québec. Et pour le dehors, M. le gouverneur (d’Argenson) a puissamment travaillé à faire des réduits aux villages fermés, où il oblige chacun de bâtir une maison pour sa famille et contribuer à faire des granges communes pour assurer les moissons, faute de quoi il fera mettre le feu dans les maisons de ceux qui ne voudront pas obéir. C’est une sage police et nécessaire pour le temps, autrement les particuliers se mettent en danger de périr[4] avec leurs familles. De la sorte, il se trouvera neuf ou dix réduits bien peuplés et capables de se défendre. Ce qui est à craindre, c’est la famine, car si l’ennemi vient à l’automne, il ravagera les moissons ; s’il vient au printemps, il empêchera les semences. Cette crainte de la famine fait faire un effort au

  1. On ignorait encore à Québec que les Hurons eussent trahi Dollard.
  2. Personne n’était sur ses gardes ! Mais la guerre faisait rage depuis plus de douze ans !
  3. C’est ce que firent en effet les Iroquois.
  4. Ce n’était pas la faute des habitants si le Canada était ainsi exposé.