Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome IV, 1882.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

En tout, cent vingt lieues de forêt et de montagnes. L’intendant chargea (1670) M. Patoulet[1] de dresser un rapport sur cette route communément appelée le chemin de Kennebeck ; l’automne de 1671, Thomas Tarieu de la Naudière et Dumont de Saint-Lusson furent envoyés pour faire une exploration en règle ; l’intendant enjoignit à M. de Grandfontaine de prendre note des travaux à exécuter dans les portages et au fort même de Pentagoët. Cet officier, (Hubert d’Andigny, chevalier de Grandfontaine, capitaine aux régiments de Carignan et du Poitou, devenu major d’infanterie) s’était familiarisé avec la vie des bois et la guerre des Sauvages. On lui donna ordre d’aller, avec quelques troupes (une trentaine d’hommes) prendre le commandement de l’Acadie. Quatre officiers l’accompagnèrent : le capitaine de Chambly, le lieutenant de Marson de Joybert de Soulanges, l’enseigne de Villieu et l’enseigne Vincent de Saint-Castin. Ce dernier âgé d’une vingtaine d’années, commençait à figurer au milieu des brillants officiers du Canada par son esprit, son courage, les talents dont il était doué. Sur le chemin de Kennebek il servit à la fois de guide, de pourvoyeur des vivres (en chassant) puis, arrivé dans les montagnes, ayant fait la rencontre des Abénaquis, il se lia avec eux et en entraîna un certain nombre à la suite des Français. La petite flottille composée en tout de douze canots, parut, le 5 août 1670, devant Pentagoët. Sir Richard Walker, qui y commandait depuis 1654, paraît-il, remit les clefs de la place à M. de Grandfontaine et sortit avec ses soldats. Saint-Castin resta dans le fort avec une dizaine d’hommes. Le détachement français poursuivit sa route. Le 27, Jemsek reconnaissait l’autorité de la France ; le 2 septembre M. de Soulanges occupait Port-Royal. Trompé dans tous ses calculs, Temple perdait seize mille louis.

Le gendre de Latour, Martignon d’Arpentigny, à la fois héritier et créancier de son beau-père, s’était adjugé Jemsek, mais lorsque M. de Soulanges arriva pour y commander il le reçut de bonne grâce, seulement, il eut le soin de dresser un mémoire officiel de ses réclamations. Les deux fils de Latour s’étaient retirés auprès de Muis d’Entremont, dans la seigneurie de Pobomcoup, autrement dite « quartier du cap Sable, » qui s’étendait jusqu’au cap Neigre ; le changement de régime ne pouvait que leur plaire. Joseph, l’aîné des enfants de d’Aulnay, qui avait trente-quatre ans, en 1670, sollicita sans l’obtenir la charge de gouverneur royal en Acadie. Lui et ses frères se retirèrent en France et ne revinrent plus.

Le gouvernement confié à M. de Grandfontaine, remarque M. Rameau, « comprenait une immense région : 1. l’État du Maine, le sud du Nouveau-Brunswick, et la Nouvelle-Écosse qui formait l’Acadie proprement dite ; — 2. le pays des Maléchites et la baie des Chaleurs, c’est-à-dire le nord du Nouveau-Brunswick ; — 3. îles Saint-Jean et du cap Breton. Les principaux étaient à Passamacadie, Pentagoët, Jemsek, Miramichi, Népisigny, Chédabouctou, la Hève, le cap Sable et Port-Royal ; le cap Sable et la Hève étaient les seuls où il se trouvât une population européenne sérieusement établie, avec des femmes, des enfants et des cultures ; partout ailleurs on ne rencontrait que des forts plus ou moins considérables avec des magasins ; Miramichy, Nipisigny, Chédabouctou appartenaient toujours aux enfants de Denys. »

  1. Ce fonctionnaire était en Canada le 11 novembre 1669. Dans le mémoire à lui adressé de Paris, le 30 mars est appelé « commissaire de marine à Pentagouët. » Le 1er  avril 1679, il fut nommé intendant de justice, police et finances des îles françaises de l’Amérique.