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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de Latour ont valu à l’Acadie cette mauvaise réputation. Les paisibles fermiers de Port-Royale et de Grand-Pré cultivaient la terre, multipliaient leurs troupeaux et fondaient des familles, mais ne possédaient aucun navire. Contents de leur sort, songeant au bonheur que d’abondantes récoltes promettaient à leurs enfants, ils n’étaient pas hommes à franchir les bornes de leur horizon et adopter d’eux-mêmes cette vie de périls, de misères, de privations et de déboires qui leur fut imposée vers la fin du dix-septième siècle.

Il en a été des premiers établissements de l’Acadie comme de ceux du Canada : le roi ne les prit pas assez sous sa protection. L’initiative individuelle pouvait donc seule les faire réussir — c’est ce qui arriva. On rencontre dans l’Histoire de ces hommes d’élite dont le dévouement est, pour ainsi dire, illimité et qui apparaissent à l’heure voulue, dépassant de toute la tête ceux qui les entourent, créant, fécondant une œuvre nouvelle, puis s’éteignant sans laisser de fortune, sans presque laisser de nom, tandis que les fruits de leurs efforts nourrissent une population qui se développe sur un sol conquis par eux. Tels furent Poutrincourt, Razilly, d’Aulnay.

Durant au moins quinze ans, après la reddition de Port-Royal, il ne vint aucun émigrant en Acadie. Entre 1664 et 1668, on en vit même partir quelques uns pour le Canada, où la situation des affaires se faisait meilleure de jour en jour.

Temple était colonel dans l’armée anglaise. Au commencement de 1657 il arriva en Acadie, en qualité de gouverneur des forts Jemsek et Pentagoët. C’est alors que de concert avec Crowne, il acquit les droits de Latour et dépensa de fortes sommes pour exploiter ses fiefs : son but était le trafic. Au mois de janvier 1658, les Cent-Associés envoyèrent Le Borgne à Londres redemander l’Acadie. Cromwell ne voulut pas l’entendre. Sans se décourager, Le Borgne envoya vers l’Acadie son fils âgé de vingt-quatre ans, Emmanuel, qui portait le nom de sieur de Belle-Isle, avec instruction de se fortifier dans la Hêve, mais les Anglais l’en empêchèrent et le firent prisonnier ; conduit en Angleterre, on le relâcha. Temple mit une garnison à Port-Royal. Lorsque Charles II monta sur le trône (1660) un nommé Thomas Elliot éleva des réclamations sur le territoire de la Nouvelle-Écosse ; Temple fut contraint de lui payer une rente annuelle de six cents louis. Pendant l’absence de Temple qui était allé à Londres défendre ses intérêts, le capitaine Breedon gouverna la province (1661). Temple revint avec une nouvelle commission de gouverneur. On rapporte que c’était un homme d’esprit. Un jour Charles II lui témoigna son mécontentement de ce que les colons du Massachusetts avaient frappé une monnaie sans sa permission. Temple tira de sa poche l’une de ces pièces sur laquelle était figuré un pin. Le roi demanda quel était cet arbre. « C’est un chêne, répondit le rusé colonel, le chêne dans lequel Votre Majesté a trouvé son salut autrefois. » Cette allusion au fameux Royal Oak fit plaisir au roi qui ne parla plus de la malencontreuse monnaie.

En 1661, Louis XIV renouvela sa demande pour ravoir l’Acadie, mais sans succès. On fit traîner l’affaire et tandis que les dépêches diplomatiques s’échangeaient, Charles II donna (1664) à son frère le duc d’York tout le territoire compris entre Sainte-Croix et