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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Latour, croit-on, apprit le décès de d’Aulnay en France, où il n’était pas plus inquiété qu’au Canada. Les affaires politiques du royaume avaient subi bien des changements depuis quelques années. L’ancien commandant du cap Sable se fit pourvoir d’une commission royale, (25 février 1651) assembla un certain nombre de coureurs d’aventures, à la tête desquels se plaça un gentilhomme normand appelé Philippe Mius d’Entremont. Tous ensemble, ils débarquèrent en Acadie (1651) pleins d’audace et presque menaçants. La rentrée en scène d’un personnage comme Latour n’était pas une mince affaire, aussi obtint-il de madame d’Aulnay, tant par des paroles que par intimidation, ainsi que s’exprime M. Rameau, la possession du fort Jemsek, plus le gouvernement de l’Acadie, car on le regardait comme le délégué du roi. D’Entremont eut le fief du cap Sable, et il s’y installa avec sa femme, Madeleine Élie. Bientôt des difficultés s’élevèrent au sujet des limites territoriales et des privilèges de traite, mais les coups de théâtre étaient choses ordinaires dans l’existence de Latour : il demanda la main de madame d’Aulnay : elle accepta. Le mariage eut lieu le 24 février 1653. Tous deux partirent pour Jemsek. Les enfants[1] mineurs de Latour héritaient, du cap Sable, ainsi que des biens[2] de leur père dans la vieille France.

Denys dans son gouvernement du golfe et des îles, restait libre. Il était ami de Latour. Madame d’Aulnay ne l’avait pas trop ménagé. Le Journal des Jésuites nous fait savoir, à la date du 29 juin 1651, que nouvelle était parvenue à Québec « de la prise de notre frégate à Gaspé par une barque de madame Daunay. » Traiteurs contre traiteurs, c’est l’histoire de tous les temps. Madame d’Aulnay ne tolérait pas plus les jésuites que les autres. Le 12 octobre, ce Journal ajoute : arriva la frégate envoyée par le lieutenant de l’Acadie, laquelle avait été prise sur nous le printemps par les gens de madame Daunay. Messieurs Denys qui avaient été pris prisonniers par madame d’Aulnay, furent aussi renvoyés avec la même frégate. Dans cette restitution on reconnaît la main de Latour. « Le 4 mai 1652, la frégate part pour Tadoussac, M. Denis pour aller trouver M. de la Tour, afin de se rétablir vers Miscou. » Enfin, le 13 janvier 1654, le roi accorda à Nicolas Denys des provisions de gouverneur se lisant comme suit :

« Étant bien informé et assuré de la louable et recommandable affection, peine et diligence que le sieur Nicolas Denys, écuyer, qui était ci-devant institué et établi par la compagnie de la Nouvelle-France, gouverneur en toute l’étendue de la grande baie Saint-Laurent et îles adjacentes, à commencer depuis le Cap-de-Canseau jusqu’au Cap-des-Rosiers, en la Nouvelle-France ; et lequel, depuis neuf ou dix ans en-ça, a apporté et utilement employé tous ses soins, tant à la conversion des sauvages du dit pays, à la foi et religion chrétienne, qu’à l’établissement de notre autorité, en toute l’étendue du dit pays, ayant construit deux forts, et contribué de son possible à l’entretien de plusieurs ecclésiastiques religieux, pour l’instruction des enfants des dits sauvages, et travaillé au défrichement des

  1. Le contrat, porte : « enfants mineurs du premier mariage », ce que nous entendons par l’alliance faite, en 1640, avec Marie Jacquelin. Car le véritable premier mariage de Latour parait avoir eu lieu avec une sauvagesse.
  2. Claude de Latour, père de Charles, paraît être mort vers 1636.