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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

concentra plus que jamais dans le bassin des Mines. Il y consolida la vraie colonie acadienne : cultures, moulins, église, bonne administration. Vers 1650, quarante-cinq à cinquante ménages européens y étaient groupés, outre une soixantaine d’hommes à gages, coureurs de bois, domestiques ou soldats, ce qui portait à près de trois cents le chiffre de cette population. Avec les gens de Denys, on peut compter, dit M. Rameau, un total de quatre cents âmes, pour toute l’Acadie, au lieu d’une trentaine en 1632 et de cent cinquante à cent quatre-vingts en 1636.

Razilly et d’Aulnay amenèrent de France à peu près quarante familles, soit deux fois plus qu’il n’en vint ensuite pendant tout le temps de la domination française, jusqu’en 1710 car durant cette seconde période on n’en compte guère plus de vingt nouvelles constituées avant leur débarquement en Acadie ; les émigrants ou engagés qui arrivèrent dans ce laps de temps étaient des jeunes gens qui prirent femmes dans les familles acadiennes. « On peut donc considérer, observe M. Rameau, que le rôle de Razilly et de d’Aulnay à Port-Royal fut exactement semblable à celui des sulpiciens à Montréal et à celui de Giffard de Beauport et de Juchereau de la Ferté aux environs de Québec. »

Le mot métis a été prononcé. Les uns disent qu’il est le résultat d’une pure invention ; les autres, que plusieurs faits le justifient. M. Poirier le rejette, sauf dans trois ou quatre cas dont la moitié sont postérieurs à 1650. « Non seulement, dit-il, il ne s’est pas contracté d’unions entre les colons amenés par Razilly et d’Aulnay — seule et véritable souche des Acadiens — et les prétendus métis issus de La Tour et de ses compagnons, mais il n’y en a pas eu non plus entre leurs descendants respectifs. Les aventuriers du cap Sable, dont le grand nombre était pêcheurs, les autres pirates ou flibustiers, tous compagnons plus ou moins persévérants de La Tour, ont péri par la guerre, se sont dispersés sur le continent américain, ou sont retournés en France. Le cap Sable, la rivière Saint-Jean, puis Boston et les côtes du Maine, voilà quels ont été leurs champs de batailles et leurs lieux de retraite. Dans ces périlleuses embuscades, dans ces combats de corsaires, il en tombait toujours un grand nombre sous les mousquets plus nombreux ou mieux exercés des soldats de d’Aulnay. » Il ajoute que, obligés de s’éloigner de l’Acadie après la défaite de Latour, ils finirent par se diriger du côté de Boston, où ils passèrent l’hiver de 1645-46.

Il en est peut-être, en effet, du groupe acadien comme de celui du Canada qu’on a voulu faire descendre en partie des sauvages et qui se trouve n’avoir presque jamais contracté d’alliance avec les indigènes. Certains cas isolés sont tout ce que l’on relève en examinant les choses de près. La nature même de notre organisation sociale répugne à ces mélanges — l’on a trop oublié ce point essentiel de la question. Quelques personnes cherchent à prouver leur thèse de métissage par l’apparence physique de certains individus, surtout la coloration de la peau et des cheveux. C’est le dernier moyen de ceux qui ont épuisé leurs arguments. La science n’y croit plus, car on a étudié ces transformations dans tous les pays et il est constant qu’elles se produisent sous d’autres influences que celle du croisement des races.

Au milieu de sa prospérité le seigneur de Port-Royal périt subitement. Le 21 mai 1650,