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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Française jusqu’au détroit de Canseau. » Et il ajoute : « L’habitation de la rivière Saint-Jean (Jemsek) restera ainsi au sieur de Latour, qui ordonnera de son économie et peuple comme il le jugera à propos, et le dit sieur de Latour ne s’ingérera de rien changer aux habitations de la Hêve et du Port-Royal » qui demeureront à d’Aulnay. De sorte que, en définitive, dit M. Poirier, « Latour recevait le titre de lieutenant-gouverneur dans une partie de la colonie où, de fait, il n’avait plus d’autorité ni de possession, et d’Aulnay se trouvait dans le même cas. Que dire de ce partage où l’ignorance du gouvernement, sur la géographie des contrées dont il prend sur lui de déterminer les limites est si lamentablement manifeste ? Loin d’avoir réglé les différends des deux rivaux, un nouveau champ de discorde et de querelle leur est ouvert. La guerre éclata bientôt. » Guerre à la fois de pirate et de procureur, comme s’exprime M. Moreau, « guerre où les ruses de la procédure se mêlèrent aux violences des combats. »

La délimitation des territoires affectés aux deux lieutenants-généraux fut la cause d’une prise d’armes en 1640. Latour enleva deux petits navires appartenant à d’Aulnay. Celui-ci après avoir ravitaillé le fort de Pentagoët où commandait Germain Doucet, son capitaine d’armes, rencontra le bâtiment de Latour et le captura à la suite d’un combat assez vif. Un second procès s’ouvrit sur information préparée (14 juillet 1640) par Germain Doucet, Isaac Peseley et Guillaume Trahan, comme représentants les habitants de Pentagoët, la Hêve et Port-Royal, placés sous la jurisdiction de d’Aulnay.

En même temps, Latour se mariait avec une Française, Marie Jacquelin, native du Mans. C’était, croyons-nous, son second mariage, le premier ayant eu lieu vers 1626 avec une sauvagesse.

D’Aulnay confia sa plainte à son père qui avait de puissants amis en France. Le 29 janvier 1641, Latour fut cité à comparaître, et un mandat lancé pour s’emparer de sa personne ; puis, avant que de l’entendre, sa commission de lieutenant-général se trouva révoquée « pour ses mauvais comportements » et parce qu’il empêchait « le progrès et avancement de la foi et religion chrétienne parmi les sauvages et l’établissement de la colonie française. » Il faut avouer que le mémoire envoyé par d’Aulnay renfermait des accusations propres à effrayer le ministre — mais on ne saurait dire jusqu’à quel point d’Aulnay était juste.

Latour ne tint compte d’aucune injonction. Il avait avec lui des hommes, des armes, des sauvages et il connaissait le pays. Son fort de Jemsek pouvait, croyait-il, tenir contre n’importe quelle agression. Fier de son indépendance, soutenu par les armateurs français avec lesquels il entretenait depuis si longtemps des relations, ce chef de bande se regardait comme certains barons du moyen-âge : libre chez lui et ne relevant ni de roi ni de maître.

À partir de ce moment, la colonisation s’arrêta. De 1640 à 1650, il ne s’établit pas plus de vingt familles.

D’Aulnay passa en France (1641), fit un arrangement[1] par contrat avec Claude Razilly à Tours (19 février 1642) puis, aidé de son père, recruta une vingtaine de colons mariés et

  1. En 1641, les membres de la société d’Acadie intéressèrent d’Aulnay dans leurs opérations pour un septième. En 1642, il fut autorisé à gérer la part que les capucins avaient dans la société d’Acadie, et Claude de Razilly lui fit don de quatre mille livres qui lui étaient dues sur les terres de Sainte-Croix.