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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Du côté de l’Angleterre les préparatifs marchaient toujours. Le 31 mars (1630) un titre de baronnet du Nouveau-Brunswick avait été accordé à sir Robert Hannay de Machrum, le 20 avril à sir William Forbes de New Graigeivar ; le 24 avril à sir James Stuart (ou Stewart) lord Ochiltree ; le même jour à sir Peirs Crosbie ; le même jour à sir Walker Crosbie, de Crosbie Park, dans Wislow. Le 30 avril, on divisa en deux baronnies le vaste terrain déjà cité le 30 novembre 1629, en faveur de Claude et de Charles Latour, devant relever de la couronne d’Écosse sous les noms de Saint-Étienne et Latour, avec pouvoir d’ériger forts, villes, et droits d’amirauté sur toute la côte, qui mesure à peu près cent cinquante milles, « en considération des grandes dépenses que le sieur Claude Saint-Étienne avait faites en bâtiments et en faisant valoir le pays, pour la grande amitié et les services qu’il avait rendus à sir William Alexander[1], à condition que les dits sieurs de Latour continueraient d’être bons et fidèles sujets du roi d’Écosse. » Le 12 mai le titre de baronnet de la Nouvelle-Écosse fut décerné à « sir Charles de Saint-Étienne, seigneur de Saint-Deniscourt. » On a prétendu aussi que l’ordre de la jarretière avait été donné ou promis à Charles ; toutefois, celui-ci n’accepta rien du roi d’Angleterre et d’Écosse.

Une expédition mit à la voile aussitôt ces arrangements terminés et alla débarquer des colons au Scotch Fort, près Port-Royal ; ces secours ne firent que retarder un peu la ruine de l’établissement.

Claude de Latour descendit au fort Saint-Louis où Charles le reçut très bien, mais à la nouvelle de ce que l’on attendait de lui le fils repoussa le père et se montra ferme dans sa détermination de rester fidèle au roi de France. Sur de nouvelles instances, il rompit les pourparlers. Son père, retiré sur les navires où était retenue sa femme par la défense de Charles de l’admettre à terre, écrivit une lettre dans laquelle il invoquait, comme il l’avait fait précédemment, les liens de famille, le respect dû à ces vieux jours, et le menaçait en cas de plus longue résistance. Le jeune commandant se montra inébranlable. Les Anglais décidèrent d’employer la force ouverte. Un premier assaut contre le fort dura toute la journée et toute la nuit sans résultat définitif. Le lendemain, nouvelle attaque dans laquelle les Anglais perdirent beaucoup de monde. Claude abandonna alors la partie et chercha refuge au Scotch Port.

Charles, qui se préparait pour un nouveau combat, ne vit pas sans douleur son père réduit à la triste position où il se trouvait. Traître à sa patrie, dédaigné des Anglais qu’il avait l’air d’avoir trompé, il se voyait proscrit, traqué, déshonoré. Le premier projet du malheureux fut de renvoyer sa femme en Angleterre, mais elle n’y voulut jamais consentir, disant qu’elle partagerait le sort de son mari, quel qu’il fût.

On était dans l’été de 1630. Tout victorieux qu’il pouvait être pour le moment, Charles de Latour se voyait isolé de France, ne sachant pas si la guerre allait recommencer ouvertement entre les deux couronnes, dépourvu de certaines ressources et de plus sans autorité

  1. On disait la femme de Claude parente de sir William.