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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

deux navires jusqu’à Port-Royal où devait se former un établissement au nom de sir William Alexander. Ce coup fait, lord Ochiltree éleva un fort au Port-aux-Baleines et notifia les pêcheurs et les traiteurs français d’avoir à lui payer un dizième de tout leur commerce[1]. Il ne fut pas longtemps maître de la position.

Le 22 avril, le capitaine Daniel[2] avait mis à la voile, de Dieppe et, le 17 mai, non loin de la Rochelle, il avait appris que, par le traité de Suze (24 avril), la paix régnait de nouveau entre la France et l’Angleterre. Avec cinq bâtiments on l’envoya (26 juin) au secours de Québec assiégé par les Kertk. Sur le grand banc de Terreneuve un navire anglais fit mine de l’attaquer isolement, au milieu d’une brume ; Daniel le combattit, le força à se rendre, puis le relâcha, sans pouvoir lui persuader que la paix était faite. Le 29 août, étant avec tout son monde dans la rivière Chibou, au Cap-Breton, il eut connaissance, par le capitaine Chambreau, de Bordeaux, de ce qui se passait au port aux Baleines (vingt-cinq lieues plus loin) et fit préparer cinquante-trois de ses hommes, munis d’échelles et d’armes pour livrer assaut au fort d’Ochiltree, lequel était « construit sur un rocher environné d’eau de deux côtés. » Québec avait été pris par les Kertk le 20 juillet. Daniel dût l’apprendre entre le 30 août et le 7 septembre ; cela contribua sans doute à l’animer contre les Anglais. Le 8 septembre, il approcha du fort et, après une vive fusillade, on aperçut le drapeau parlementaire sur les murs. « J’étais à la porte du fort, écrit le capitaine Daniel, faisant enforcer icelle, par laquelle étant entré, je me saisis du dit mylord que je trouvai armé d’une épée et d’un pistolet ; et quinze de ses hommes armés de cuirasses, brassards et bourguignotes, tenant chacun une arquebuse à fusil en main ; et tout le reste des dits hommes armés de mousquets et piques seulement, lesquels je fis tous désarmer ; et ayant ôté les étendards du roi d’Angleterre je fis mettre… ceux du roi mon maître. » Dans le fort, on trouva un Français, natif de Brest, détenu prisonnier jusqu’au payement de sa rançon. Le fort fut rasé. Ce qu’on en tira fut porté à la rivière Chibou. « Je fis avec toute diligence travailler cinquante de mes hommes et vingt des dits anglais à la construction d’un retranchement ou fort (on lui imposa le nom de Sainte-Anne) sur la dite rivière, pour empêcher les ennemis d’y entrer, dans lequel j’ai laissé quarante hommes, compris les pères Vimont et Vieuxpont, jésuites, et huit pièces de canon, dix-huit cents de poudre, six cents de mèches, quarante mousquets, dix-huit piques, artifices, balles à canon et à mousquets, vivres et autres choses nécessaires, avec tout ce qui avait été trouvé dans la dite habitation et fort des Anglais ; et ayant fait dresser les armes du roi et de monsieur le cardinal, fait faire une maison, une chapelle, pris serment de fidélité du sieur Gaulde, natif de Beauvais, laissé par moi pour commander au dit fort et habitation pour le service du roi, et pareillement du reste des hommes demeurés avec le dit sieur Gaulde, je suis parti du dit lieu le 5 novembre et ai amené les dits Anglais, femmes et enfants, desquels en ai mis quarante et deux à terre près Falmue (Falmouth) port d’Angleterre, avec leurs hardes, et amené dix-huit ou vingt à Dieppe avec le dit mylord, attendant le commandement

  1. André de Malapart, qui était avec Daniel, dit : « il va tous les ans dans ce pays quelques deux cents grands navires. »
  2. Voir le présent ouvrage, tome IX, 31, 40-43.