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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de mourir (1623) empoisonné, dit-on. Son ami Charles-Amador de Latour[1], sieur de Saint-Étienne, était tout désigné pour son successeur.

C’est un personnage singulier que Latour. « Tantôt Français, tantôt Anglais, catholique ou protestant, selon l’exigence des situations… il avait mené, dit-on, une vie déréglée avec les sauvages du Cap-Sable. On ne manque pas, à cause de lui, d’infiltrer du sang sauvage dans les veines de tous les Acadiens de l’époque[2]. » Sa fille, Jeanne, née vers 1626, légitimée bientôt après, avait pour mère une Souriquoise et se maria avec Martinon ou Martin d’Aprendistigny ou d’Arpentigny, déjà cité (1672) comme seigneur sur la rivière Saint-Jean.

Jusque là (1622) la troupe de Biencourt s’était recrutée assez régulièrement de matelots déserteurs, d’aventuriers et de pêcheurs, outre les sauvages qui lui étaient très attachés. Tous ensemble, ils firent une si bonne contenance que les premiers émigrants amenés par sir William Alexander (1623) ne crurent pas devoir rester dans ces lieux et s’en retournèrent sans retard.

Le fort Lomeron passa à Latour qui, par la suite (1631) lui donna son nom. Un autre fort, appelé Saint-Louis, fut construit dans le voisinage, vers l’époque de la mort de Biencourt, et passa aussi à son successeur.

En 1624, trois récollets arrivèrent de France, parcoururent tout le Nouveau-Brunswick, voyageant à pied, et se rendirent jusqu’à Québec en suivant la rivière Chaudière.

Les désaccords survenus entre Richelieu et l’Angleterre aboutirent, en 1626, à des hostilités. Du camp de la Rochelle, au printemps 1627, le cardinal signa l’acte de formation de la compagnie des Cent-Associés[3] dans lequel l’Acadie et le Canada, sous le nom de Nouvelle-France, se trouvaient constitués en un territoire colonial. Charles de Latour résolut de faire des démarches pour renouer des relations avec la mère-patrie et conserver son autorité. Il jeta les yeux sur son père, Claude Turgis de Saint-Étienne, sieur de Latour. Celui-ci était de Paris, allié à la maison de Bouillon ; des revers de fortune l’avait poussé en Acadie (1610) comme nous l’avons raconté. Après le désastre de Port-Royal (1613) Claude s’était bâti un poste de traite à l’entrée de la rivière Penobscot, dans le Maine, mais les Anglais de Plymouth l’en avaient chassé (1626). Sur la prière de son fils, il s’embarqua le 27 juillet 1627, porteur d’une lettre de Charles qui demandait au roi d’être nommé commandant de toute la côte de l’Acadie. L’accueil qu’on lui fit n’est pas connu. À son voyage de retour (1628) il tomba dans la flotte de Kertk, qui venait de transporter quelques familles écossaises à Port-Royal, au nom de sir William Alexander, et fut pris. Kertk captura dans cette campagne dix-huit vaisseaux, trente-cinq pièces de canon et des munitions en abondance, le tout appartenant aux Cent-Associés.

  1. Voir le présent ouvrage, tome I, 110
  2. Pascal Poirier : Revue Canadienne, 1874, p. 852, 925, 930-31.
  3. Elle portait aussi le nom de Compagnie du Morbihan parce que le roi lui avait cédé le pays de Morbihan en même temps que la Nouvelle-France. (Harrisse. Bibliographie, etc., p. 53).