Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome IV, 1882.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.
122
HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

déclara au ministre qu’il serait inutile d’en envoyer l’année suivante, car, dit-il, le pays pourra fournir cent jeunes filles à marier, » ce qui est un nombre suffisant pour les soldats établis ou qui seront congédiés du service. « Les naissances de cette année sont de six à sept cents. Il est inutile aussi d’envoyer des demoiselles de condition ; nous en avons reçu cette année quinze, outre quatre que j’avais amenées pour former des mariages avec les officiers et les habitants de distinction. »

M. Dollier de Casson, qui était alors en Canada, remarque que le climat sévère du pays avait sur les femmes un effet plus fortifiant que sur les hommes.

D’après le père Le Clercq, le régiment de Carignan « donna lieu à plus de trois cents familles nouvelles. » De son côté, M. Rameau écrit : « Ce licenciement dut procurer plus d’un millier de colons au Canada ; en effet, les troupes amenées par M. de Tracy (1665) devaient former quinze cents hommes, sur lesquels il faut déduire trois cents soldats qui restèrent au service, et autant environ pour les hommes morts pendant la guerre et ceux qui purent retourner en France ; restaient donc huit à neuf cents hommes que l’on congédia. Si l’on y joint maintenant tous ceux qui suivent nécessairement les armées, et que ce licenciement dut forcer à prendre fortune dans le pays avec le régiment, nous atteindrons facilement, on le voit, le chiffre de mille émigrants. Cette évaluation est encore confirmée par le recensement de 1668, qui mentionne quatre cents douze soldats établis cette année même dans le pays, mais non encore portés sur le sens ; or, comme en 1666 et en 1667 ; la plupart avait déjà reçu leurs terres et s’étaient installés, tout tend donc à montrer comme très rationnel le chiffre de mille comme nombre des émigrants laissés dans le Canada par le congédiement de cette petite armée. » De 1665 à 1673, on estime qu’il s’établit mille filles recrutées en France.

Le calcul de Talon (1671) n’était pas tout à fait exact, car le comte de Frontenac, nouveau gouverneur, écrivit au ministre pour lui demander des jeunes filles et des serviteurs : « La rareté d’ouvriers et d’engagés m’oblige à vous supplier d’avoir la bonté de vouloir songer à nous en envoyer quelques-uns de toutes les façons, et même des filles pour marier à beaucoup de personnes qui n’en trouvent point ici et qui font mille désordres. S’il y avait eu ici, cette année, cent cinquante filles et autant de valets, dans un mois ils auraient tous trouvé des maris et des maîtres. L’on m’avait dit que le grand hôpital de Paris et celui de Lyon proposaient d’en envoyer à leurs dépens, pourvu qu’on leur accordât ici des concessions. » Cette lettre est du 2 novembre 1672.

La sœur Bourgeois, partie pour la France en 1670, revint en 1672 avec onze filles, dont six pour son ordre et cinq destinées à être mariées, la plupart assez pauvres. Sur le même navire, il y avait quarante-cinq colons. Durant les années 1670, 1671, 1672, on évalue le nombre de ces derniers à cinq cents ; et de 1663 à 1672, à un total de deux mille cinq cents âmes venues de France pour s’établir. Montréal, de 1657 à 1672, fournit plus de six cents naissances.

La guerre de Hollande coupa court aux émigrations administratives. Le roi envoya encore (1673) soixante jeunes filles. Ce fut à peu près sa dernière démarche en ce sens.