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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Cette année (1668), le nombre des ménages recensés en Canada était de onze cent trente-neuf. La population comptait six mille deux cent quatre-vingt-deux âmes, dont quatre cent douze soldats établis sur des terres. Il y avait quinze mille six cent quarante-deux arpents de terre en culture. La récolte était de cent trente et un mille minots de grains. Les bêtes à cornes, au nombre de trois mille quatre cents.

La mère de l’Incarnation écrivait, l’automne de 1668 : « Les navires n’ont point apporté de malades cette année. Le vaisseau arrivé était chargé comme d’une marchandise mêlée. Il y avait des Portugais, des Allemands, des Hollandais et d’autres de je ne sais quelles nations. Il y avait aussi des femmes maures, portugaises, françaises et d’autres pays. Il est venu un grand nombre de filles[1], et l’on en attend encore. La première mariée est la[2] Mauresque qui a épousé un Français. Quant aux hommes, ce sont des hommes qui ont été cassés[3] du service du roi et que Sa Majesté a voulu être envoyés en ce pays ; on les a tous mis au bourg Talon, à deux lieues d’ici, pour y habiter et le peupler ; quand ils auront mangé la barique de farine et le lard que le roi leur donne, ils souffriront étrangement jusqu’à ce qu’ils aient défriché[4]. L’on ne veut plus demander que des filles de villages[5], propres au travail comme les hommes ; l’expérience fait voir que celles qui n’y ont pas été élevées[6] ne sont pas propres pour ici, étant dans une misère d’où elles ne se peuvent tirer… Le porteur de la présente est M. de Dombour (l’un des trois fils de Jean Bourdon) qui va en France pour accompagner madame Bourdon, sa mère (sa belle-mère). Je vous prie de les recevoir avec des démonstrations d’amitiés, parce que c’est une famille que j’aime et chéris plus qu’aucune de ce pays… M. Bourdon menait (il était décédé à Québec, le 12 janvier de cette année) une vie des plus régulières… Cet homme charitable se donnait entièrement au bien public… Il avait quatre filles qu’il a toutes données au service de Dieu… Il lui restait deux fils ; le plus jeune fait ses études à Québec, et l’aîné est celui qui vous présente cette lettre. Je les considère comme mes neveux… Madame Bourdon est un exemple de piété et de charité dans tout le pays. Elle et madame (veuve de Louis) d’Ailleboust sont liées ensemble pour visiter les prisonniers, assister les criminels, et les porter même en terre sur un brancard… Avant de passer en Canada, où elle n’est venue que par un principe de piété et de dévotion, elle était veuve de M. de Monceaux, gentilhomme de qualité. Quelque temps après son arrivée, M. Bourdon demeura veuf avec sept enfants… Elle eut un puissant mouvement d’assister cette famille… Elle se ravala de condition pour faire ce coup de charité, qui fut jugé en France, où elle était fort connue, tant à Paris qu’à la campagne, comme une action de légèreté… mais on a bien changé de pensée quand on a appris tout le bien qui a réussi de cette généreuse action. »

  1. Évidemment des « filles du roi », autres que les Portugaises, etc.
  2. « La Mauresque. » Il n’y en avait donc qu’une seule ?
  3. Ce mot peut signifier : déchargé du service, autant que rejetté du service.
  4. Tout comme nos défricheurs d’aujourd’hui.
  5. Des filles instruites, comme l’étaient celles de l’hôpital-général de Paris, ne pouvaient se faire aux travaux des champs.
  6. « Les filles du roi », ayant reçu une éducation propre à entrer au service des grandes dames, ne devaient, nécessairement, pas se trouver chez elles au milieu des travaux de la ferme.