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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

pour près de cinq cent cinquante mille francs de pelleteries. Par toutes ces raisons, comme par celles qui sont connues et dont on ne parle pas, ou qui sont cachées et que le temps fera seul découvrir, on doit se convaincre que le Canada est d’une utilité inappréciable. » Il dit de plus : « Le peuple du Canada est de pièces de rapport ; quoique d’habitants de différentes provinces de France, dont les humeurs ne sympathisent pas toujours, il m’a paru assez uni dans tout le temps de mon séjour. Il y a parmi ces colons, gens aisés, gens indigents, et gens tenant des deux extrêmes. Le second ordre demande le secours du roi, et l’aide des conseils et de l’application de ceux qui sont chargés dans le pays des affaires de Sa Majesté, qui doivent par obligation étroite entrer dans le détail des familles. »

Charlevoix, commentant les chroniques de cette époque, dit : « On remarqua même que parmi les nouveaux venus, les plus libertins ne pouvaient tenir longtemps contre les exemples de vertus qu’ils avaient sans cesse devant les yeux, et qu’au bout de dix mois plusieurs n’étaient plus reconnaissables, et ne se reconnaissaient plus eux-mêmes. Les soldats ne parlaient de la guerre des Iroquois que comme d’une guerre sainte, du succès de laquelle dépendait la conversion des infidèles. Deux ecclésiastiques et deux jésuites, qui accompagnèrent M. de Tracy dans son expédition, ont assuré à leur retour que bien des missions religieuses n’étaient ni mieux réglées, ni plus édifiantes que cette petite armée. »

Aux instances de Talon, qui demandait qu’on envoyât beaucoup d’émigrants, Colbert répondit que le roi avait besoin d’hommes pour l’armée et pour la marine et que la colonie devait songer à s’accroître le plus possible par elle-même.

« Talon, dit M. Garneau, exigea trop des ministres en demandant des colons. Colbert lui-même lui répondit qu’il ne serait pas prudent de dépeupler la France pour peupler le Canada, que l’émigration devait être graduelle et qu’il ne fallait pas y faire passer plus d’hommes que le terrain défriché ne pouvait en nourrir. Talon, sans se décourager, ne cessa point de vanter les avantages qu’on pouvait retirer du pays si l’on savait l’administrer. Il pensait que le Canada pouvait contribuer, par ses productions, à la subsistance des Antilles, et leur devenir un secours assuré si celui de Finance venait à leur manquer ; qu’il pourrait leur fournir, ainsi qu’à la France elle-même, du goudron, de la résine, de la farine, des légumes, du poisson, des bois et des huiles. Il fallait se faire céder la Nouvelle-York pour avoir deux débouchés à la mer. »

La paix de Bréda (1667) raffermissait la main du roi de France. L’Acadie elle-même reçut des troupes composées de soldats qui voulaient devenir colons.

En 1668, le roi déboursa quarante mille francs pour aider à l’envoi de jeunes filles. Quelques historiens ont voulu jeter du louche sur la condition de ces personnes, dont un certain nombre jouissait d’une bonne instruction, si on en juge par leurs écritures qui sont restées. Ce n’était, assurent-ils, que des pauvresses ramassées dans les rues de Paris. Talon, s’adressant au ministre, (1668), dit : « Entre les filles qu’on fait passer ici, il y en a qui ont de légitimes et considérables prétentions aux successions de leurs parents, même entre celles qui sont tirées de l’Hôpital Général de Paris. » Elles n’étaient donc pas tout à fait destituées du côté de la fortune et de l’éducation.