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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

soit rendue par le Conseil avec intégrité, sans cabale et sans frais. Enfin, bien que l’intendant ait le pouvoir de juger souverainement et en dernier ressort les causes civiles, il est bon qu’il ne se serve de ce pouvoir que rarement, laissant leur liberté aux juges établis. Il doit établir une bonne police pour contrôler l’administration des deniers publics, la culture des terres, l’organisation des manufactures. Il en disposera les règlements sur l’exemple de ceux qui sont en vigueur en France, mais après avoir consulté les principaux du pays[1]. Il faut qu’il connaisse bien le revenu du pays, l’emploi des deniers, les dettes déjà, contractées, afin qu’il remédie à tout. Il doit particulièrement observer que les habitants s’étant établis à des distances trop grandes, on ne peut leur venir en aide en cas d’alerte, et ils ne peuvent non plus se porter secours[2]. Désormais les défrichements seront faits de proche en proche. En conséquence, il faut ramener autant que possible tous ceux qui se sont trop éloignés, et enfin pour l’intérêt de la colonie, il faut retirer une partie de leurs lots à ceux qui en ont plus qu’ils n’en peuvent occuper, cultiver et défendre, on les donnera à de nouveaux arrivants. Il faut que l’intendant s’occupe de faire préparer des terres et des habitations pour celles des nouvelles familles qui n’auraient pas d’autres ressources, au moins trente ou quarante habitations chaque année. Enfin, le roi, considérant tous ses sujets du Canada, depuis le premier jusqu’au dernier, comme ses propres enfants, et désirant satisfaire à l’obligation où il est de leur faire ressentir la douceur et la félicité de son règne, l’intendant s’étudiera à les soulager en toutes choses, et à les exciter au travail et au commerce, qui seuls peuvent les soutenir en ce pays, et d’autant que rien ne peut mieux y contribuer qu’en entrant dans le détail de leur intérieur : il est à propos qu’il visite toutes les habitations les unes après les autres, pour voir ce qu’il en est, et, de plus, qu’il pourvoie à toutes leurs nécessités, afin qu’en faisant le devoir d’un bon père de famille, il puisse leur donner les moyens de subsister et même d’étendre leur exploitation sur les terres voisines de leurs propriétés. Il verra à établir des manufactures, et à attirer des artisans pour les choses les plus nécessaires dont on trouve les matières premières si abondamment dans le pays, et dès lors on ne sera plus obligé d’y importer à grands frais de la toile, des draps, des coiffures et des chaussures, et on peut compter pour cela sur l’aide du roi qui est persuadé qu’il ne peut employer une forte somme d’argent à un meilleur usage. L’intendant verra encore si les terres rapportent beaucoup de blé, et s’il excède ce qui est nécessaire à la consommation des habitants ; il verra à destiner un certain nombre de terres à la culture du chanvre et des légumes. »

Ces sages mesures ne devaient pas être totalement négligées ; on perdit de vue, néanmoins, la question du commerce en favorisant les monopoles, au lieu de laisser le champ libre aux colons, et ce fut une des principales causes de la constante faiblesse du Canada.

« Le vaisseau de Normandie arrive à Québec avec quatre-vingt-deux, tant filles[3] que

  1. Ces bonnes dispositions de Louis XIV n’allèrent point jusqu’à permettre les assemblées des habitants. Il en résulta une faiblesse pour la colonie.
  2. Si, avant 1665, on eût eu le soin de chasser les Iroquois, comme on le devait, la tranquillité se fût trouvée assurée.
  3. Voir tome III, 65, 71, 72. IV, 6, 25, 46.