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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Le parti opposé aux récollets donnait à entendre que ces religieux devaient se consacrer à la vie contemplative et qu’il y avait assez d’ouvriers en Canada pour cultiver la vigne du Seigneur. Ces hostilités sourdes étaient comprises des moins clairvoyants. Les récollets espéraient malgré tout que, d’un moment à l’autre, on leur permettrait de se rendre dans les missions sauvages, et, dans ce but, les pères Simple Landon, Exupère d’Ethune et Léonard étudiaient les langues des sauvages.

En 1673, le père de la Ribourde passa de Québec au fort Frontenac, que l’on venait de construire. Il en fut, ainsi, le premier missionnaire. Les pères Louis Hennepin et Luc Buisset étaient destinés aux missions des Iroquois, et ils incitèrent ces sauvages à s’établir près de Montréal.

À la demande de M. Denis et de Charles Bazire, propriétaire de l’île Percé, dans le golfe Saint-Laurent, Frontenac, agissant en l’absence de Mgr  de Laval (qui était en France) et malgré l’opposition du grand-vicaire des Bernières, accorda permission aux récollets d’envoyer un missionnaire dans cet endroit, où, durant l’été, se rassemblaient quatre ou cinq cents pêcheurs et nombre de sauvages. Au mois de mai 1673, le père Exupère d’Ethune partit de Québec avec la famille de M. Denis ; il ne laissa définitivement Percée qu’en 1683, lorsqu’on le rappela pour être supérieur à Québec, en remplacement du père Valentin Le Roux. Le père d’Ethune resta dans le pays jusqu’à 1687 et y ruina sa santé. Jusqu’à la conquête, les récollets ont eu les sympathies des habitants. Ils ont fait corps avec l’élément canadien. Comment se peut-il que la légende historique dont on nous a nourris soit toujours et constamment en l’honneur des jésuites ? La réponse est facile. De 1760 à 1840, nous avons eu à peine quelques instants libres pour nous occuper de notre ancienne histoire, et depuis quarante ans, les jésuites ont eu le soin de publier une foule de brochures et de livres qui célèbrent et commentent leurs travaux. Une tradition s’est établie sur ces données ; aujourd’hui, on l’invoque comme une preuve. Or, la tradition n’a jamais d’autre source que ces sortes de renseignements. Lorsqu’un peuple, éprouvé par le malheur, a été cent ans dépourvu de livres, le premier écrivain qui le veut lui fait accepter ses récits, et, à la seconde génération, tout cela passe pour de l’Histoire. Ainsi, bons récollets qui n’avez fait chez nous que le devoir si humble et si respectable de pasteurs évangéliques, on vous a oubliés ; plus que cela, on tourne les esprits de vos fidèles Canadiens vers ceux que nos ancêtres n’ont jamais regrettés parce que…

À partir de 1673, les Relations des jésuites cessèrent d’être imprimées, à la suite d’une décision de Rome qui défendit la publication des lettres des missionnaires, « même celles des jésuites. » Cette mention spéciale donne-t-elle à entendre que les Relations de la célèbre compagnie étaient surtout visées dans le décret ? Ce qui est certain, c’est que, au Canada, les habitants étaient, depuis des années, mécontents de ces récits dans lesquels les faits étaient presque toujours dénaturés. On s’est étonné qu’un si petit nombre d’exemplaires de ces livres aient été retrouvés dans notre pays : selon toute apparence, on ne les y répandait pas — dans la crainte de soulever des réclamations. Ils étaient calculés dans un but politique :