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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

suffire, à moins que M. Bretonvilliers, supérieur de Saint-Sulpice, ne fasse passer cinq ou six prêtres choisis dans son séminaire, qui ne soient pas plus à charge que ceux[1] qu’il nous a fait donner cette année, pour desservir la cure des Trois-Rivières et administrer les sacrements aux troupes d’un ou deux de nos forts ; cet expédient me paraît le plus facile et le moins onéreux de tous. » Plusieurs ecclésiastiques de Saint-Sulpice jouissaient des biens de la fortune, et leur supérieur, fils d’un financier célèbre du temps de Mazarin, n’épargnait pas sa bourse lorsqu’il s’agissait de Montréal. Il en résultait que les missions confiées aux sulpiciens ne coûtaient rien au roi et à peu près rien aux habitants. Plus tard, les choses se modifièrent d’elles-mêmes ; car l’île étant la propriété de la maison de Saint-Sulpice à titre seigneurial, les revenus qui en découlèrent et qui provenaient des habitants, allèrent au fonds de cette communauté à mesure qu’ils se produisaient et augmentaient. Voilà comment Montréal constitua un monde à part en Canada, et pourquoi l’île fut si longtemps administrée par des personnes venues de France et qui, le plus souvent, y retournaient après quelques années de séjour parmi nous. Aujourd’hui encore, le sentiment qui domine dans les actes et agissements des sulpiciens est celui de gens étrangers au pays ; pour eux, en de certains moments, le Canada est une contrée de missions, ce qui n’empêche pas qu’ils aient fait beaucoup de bien.

L’automne de 1667, Talon écrivait : « L’évêque de Pétrée a sous lui neuf prêtres, et plusieurs clercs qui vivent en communauté quand ils sont près de lui dans son séminaire, et séparément à la campagne quand ils y sont envoyés par voie de mission pour desservir les cures qui ne sont pas encore fondées. Il y a pareillement les pères de la compagnie de Jésus, au nombre de trente-cinq, la plupart desquels sont employés aux missions étrangères — ouvrage digne de leur zèle et de leur piété, s’il est exempt du mélange de l’intérêt dont on les dit susceptibles, par la traite des pelleteries qu’on assure qu’ils font aux 8ta8aks (Outaouais) et au Cap de la Madeleine, ce que je ne sais pas de science certaine. La vie de ces ecclésiastiques, par tout ce qui paraît au dehors, est fort réglée, et peut servir de bon exemple et d’un bon modèle aux séculiers qui la peuvent imiter ; mais comme ceux qui composent cette colonie ne sont pas tous d’égale force, ni de vertu pareille, ou n’ont pas tous, les mêmes dispositions au bien[2], quelques-uns tombent aisément dans leur disgrâce pour ne pas se conformer à leur manière de vivre ; ne pas suivre tous leurs sentiments et ne s’abandonner pas à leur conduite qu’ils étendent jusque sur le temporel, empiétant même sur la police[3] extérieure qui regarde le seul magistrat. On a lieu de soupçonner que la pratique dans laquelle ils sont, qui n’est pas bien conforme à celle des ecclésiastiques de l’ancienne France, a pour but de partager l’autorité temporelle qui, jusqu’au temps de l’arrivée des troupes (1665) du roi en Canada, résidait principalement dans leurs personnes[4]. À ce mal, qui va jusqu’à gêner et contraindre les consciences, et par là dégoûter les colons les plus

  1. MM. Michel Barthélémy, François Dollier de Casson, Jean Frémont, Étienne Guillotte et Guillaume Bailly, arrivés le 5 septembre 1666.
  2. C’est-à-dire que tout le monde n’était pas disposé à vivre comme dans un couvent.
  3. Jusqu’à aller le soir de maison en maison faire éteindre les lumières et ordonner aux gens de se coucher.
  4. Nos lecteurs ont dû se convaincre de l’exactitude de cette affirmation.