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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

de leur sang. Quelle joie pour mon cœur de pouvoir espérer une même mort, une même couronne ! Le Seigneur, sans doute, ne l’accordera pas à mes mérites ; mais j’ose[1] attendre de sa miséricorde. Quoi qu’il en soit, mon sort est bien heureux, et le partage que m’a fait le Seigneur est bien digne d’envie. Quoi de plus beau que de se dévouer, de se dépenser tout entier pour le salut des âmes ? C’est la grâce que je demande, que j’espère, que j’aime. J’ai vu ici et j’ai admiré les travaux de vos Pères. Ils ont réussi non seulement auprès des néophytes qu’ils ont tirés de la barbarie[2] et amenés à la connaissance du seul vrai Dieu, mais encore auprès des Français[3] auxquels, par leur exemple et la sainteté de leur vie, ils ont inspiré[4] de tels sentiments de piété que je ne crains pas d’affirmer en toute vérité que vos Pères sont ici la bonne odeur de Jésus-Christ, partout où ils travaillent.

« Ce n’est pas pour vous seul que je rends ce témoignage[5], mes paroles pourraient paraître suspectes de quelque flatterie ; j’ai écrit dans les mêmes termes au Souverain Pontife, au roi Très-Chrétien et à la reine sa mère, aux illustrissimes seigneurs de la Propagande et à un grand nombre d’autres personnes. Ce n’est pas que tout le monde m’ait approuvé également ; vous avez ici des envieux ou des ennemis qui s’indignent contre moi ; mais ce sont de mauvais[6] juges qui se réjouissent du mal et qui n’aiment point les triomphes de la vérité[7]. Daigne Votre Paternité nous continuer son affection ; du reste, en nous l’accordant, elle n’aimera rien en moi qui ne soit de la compagnie[8], car je le sens, il n’est rien en moi que je ne lui doive, rien que je ne lui consacre. Je veux être à vous autant que je suis à moi-même ; je veux être tout à Jésus-Christ, dans les entrailles duquel j’embrasse Votre Paternité, et je la prie de m’aimer toujours, comme elle le fait, d’un amour sincère. Que cet amour soit éternel ! »

En même temps que Mgr  de Laval partait pour le Canada (1659) — ce qui constituait une victoire pour les jésuites, — on eut l’adresse de faire croire au roi que les prêtres de Saint-Sulpice étaient opposés à l’autorité du Saint-Siège et capables de créer un schisme dans la colonie. Le schisme était tout créé : les habitants ne voulaient pas des jésuites. Néanmoins, la cour défendit à M. de Bretonvilliers, successeur de M. Olier, d’envoyer de ses ecclésiastiques ou à Montréal ou ailleurs en Canada.

Mgr  de Laval étant retourné en France, dressa le décret suivant (26 mars 1663) pour l’établissement d’un séminaire à Québec : « Les saints conciles, et celui de Trente particulièrement, pour remettre efficacement la discipline ecclésiastique dans la première vigueur,

  1. Le lecteur remarquera que l’éternelle question des Sauvages était la seule en vue. Des habitants, de la colonie proprement dite, pas un mot, sauf pour les dénigrer.
  2. On sait à quoi s’en tenir sur ces grands mots qui ne s’accordent pas avec les faits.
  3. Les jésuites n’ont rien fait d’extraordinaire auprès des habitants. Le premier prêtre venu valait tous les jésuites.
  4. On a bâti tout un système sur ces affirmations. Les premiers Canadiens étaient aussi bons chrétiens et meilleurs catholiques que la grande majorité de la nation française ; ils ne doivent pas leurs sentiments aux jésuites.
  5. Au moment où il écrivait cette lettre, Mgr  de Laval venait de mettre le pied à Québec. Quel témoignage pouvait-il rendre de l’affection des Canadiens envers les jésuites ?
  6. Mgr  de Laval, si intéressé dans le succès des jésuites, était-il lui-même capable de porter un jugement dans cette affaire ?
  7. Quelle vérité ? Les intrigues triomphantes des jésuites étaient des vérités, sans nul doute.
  8. Cet aveu ne surprend pas après ce qui précède.