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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

désirerais y créer. On arriverait ainsi, en commençant par mon exemple, à faire surgir une certaine émulation parmi les officiers et les plus riches colons, à s’employer avec zèle à la colonisation de leurs terres, dans l’espoir d’en être récompensé par un titre. Vous savez que M. Berthelot[1] m’a autorisé, jusqu’à concurrence de dix mille livres, à faire établir ici une ferme pour son compte ; d’autres personnes de France m’ont adressé de pareilles demandes, et la création de titres que je propose serait un moyen facile de faire progresser la colonie. »

La Relation de 1668 décrit la nouvelle situation du pays : « La crainte des ennemis n’empêche plus nos laboureurs de faire reculer les forêts, et de charger leurs terres de toutes sortes de grains, dont elles se trouvent capables autant que celles de France. Nos chasseurs vont bien loin, en toute assurance, courir l’orignal avec un profit signalé qu’ils retirent de cette chasse. Les sauvages, nos alliés, ne craignant plus d’être surpris en chemin, nous viennent chercher de tous côtés de cinq ou six cents lieues d’ici, ou pour rétablir leurs commerces interrompus par les guerres, ou pour en commencer de nouveaux, comme prétendent faire des peuples fort éloignés, qui n’avaient jamais parus ici, et qui sont venus cet été dernier, pour ce sujet. Il fait beau voir à présent presque tous les rivages de notre fleuve Saint-Laurent habités de nouvelles colonies qui vont s’étendant sur plus de quatre-vingts lieues de pays le long des bords de cette grande rivière, où l’on voit naître, d’espace en espace, des bourgades qui facilitent la navigation, la rendant plus agréable par la vue de quantité de maisons, et plus commode par de fréquents lieux de repos. C’est ce qui cause un changement notable en ce pays par les accroissements qui s’y sont faits, plus grands depuis qu’il a plu au roi d’y envoyer des troupes, qu’il n’en avait reçu dans tout le temps passé et par l’établissement de plus de trois cents familles en assez peu de temps — les mariages étant si fréquents que, depuis trois ans, on en a fait quatre-vingt-treize dans la seule paroisse de Québec. » Et plus loin, elle dit que nombre d’officiers et plus de quatre cents soldats de Carignan-Salières se sont déjà faits habitants, « ce qui est cause que fort peu retournent en France avec M. de Salières, colonel, qui a blanchi dans les armées de France, où il s’est fait assez connaître. »

Il resta quatre compagnies de troupes. Deux années plus tard, on leur accorda des terres, et en cette occasion, on versa à leurs officiers certaines sommes, en leur imposant l’obligation de s’occuper avant tout de faire défricher. Le roi donna cent livres à chaque soldat qui voulait s’établir, ou cinquante livres et des vivres pour un an ; aux sergents, cent cinquante livres, ou cent livres, avec des vivres pour l’année. Aux capitaines, lieutenants et enseignes de quatre compagnies, formant en tout douze officiers, il accorda six mille livres à partager entre eux. À M. de Contrecœur, qui méritait tant par ses longs services, il fit verser une somme de six cents livres. Ces subsides n’avaient certainement rien d’extraordinaire ; car l’argent valait alors la moitié moins que du temps de M. de Lauson, où les seigneurs, notamment ceux de Montréal, comme le remarque M. l’abbé Faillon, payaient à leurs censitaires des gratifications de quatre à six cents livres.

  1. M. Berthelot, conseiller du roi, secrétaire-général de l’artillerie, des commandements de la dauphine, et des poudres et salpêtres de France.