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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Durant l’hiver de 1666-67, sur soixante soldats retenus au fort Sainte-Anne, quarante furent malades du scorbut, la maladie dont souffraient toujours les Européens parce qu’ils ne voulaient point se conformer aux enseignements de l’expérience et qu’ils méprisaient les conseils des Canadiens. On découvrit — chose étonnante — que l’air était infecté au lac Champlain, et l’on se mit à transporter les malades à Montréal — en plein hiver !

Il résulta néanmoins de la démonstration de l’automne de 1666 que les Iroquois demandèrent encore une fois la paix. Trois années plus tard, il y avait des missions de jésuites dans chacun des cinq cantons — mais ces cantons existaient comme auparavant.

Le couronnement de cette guerre fut un bal ; il eut lieu, à Québec, le 4 février 1667, chez M. Louis-Théandre Chartier de Lotbinière.

La milice canadienne, déjà aguerrie et forte du sentiment national, s’était distinguée dans ces deux campagnes. Son organisation, encore incomplète mais pratique, ne devait pas tarder. Talon le comprit ; c’est pourquoi il écrivait, en 1667, qu’une dépense « de cent pistoles dans toute une année, mise en prix pour les plus adroits tireurs, exciterait bien de l’émulation au fait de la guerre. » On a trop répété, sans tenir compte des dates, que l’origine de notre milice est due à l’apparition du régiment de Carignan. L’esprit militaire existe chez les Français du moment où ils ont une contrée à défendre — un bien à eux. Le lecteur a pu suivre de point en point, dans cet ouvrage, les commencements de nos milices, et s’expliquer pourquoi, en 1666, tous les habitants en âge de porter les armes marchaient à côté des troupes régulières. Ce dont le pays avait eu besoin jusque là était moins une armée en campagne que des garnisons pour contenir les Iroquois ; mais nous avions été constamment privés de celles-ci. Lorsque les troupes du roi arrivèrent (1665), on ne tarda pas à voir naître chez les officiers qui les commandaient cette prévention et ce mépris de tous les Européens à l’égard des habitants des colonies qui ont fait tant de mal à la France et à l’Angleterre, par la suite. Les Canadiens s’en tinrent à leur connaissance du climat, des lieux et des choses américaines. Durant plus d’un siècle, il ne se fit point de bonne bataille sans leur avis et leur participation. Frontenac le premier sut utiliser ces hommes de fer, modestes autant que braves ; il leur donna une organisation propre, ou plutôt accepta officiellement celle qu’ils avaient formée d’eux-mêmes. Bien loin de repousser leurs chefs, ces habitants ennoblis par le courage et le patriotisme, il les confirma dans leurs grades, se confia à eux, voulut qu’ils eussent la gloire de protéger leur patrie dans des guerres où la France les poussait sans les consulter. Non ! l’esprit militaire des Canadiens n’est pas dû au voisinage des troupes royales : il régnait dans le cœur de l’habitant par le simple fait que cet homme était un habitant au lieu d’être un aventurier.

Les instructions données à l’intendant Talon au commencement de l’année 1665 appuyaient fortement sur l’ancien projet de créer des villages au lieu d’une ligne d’habitations : « L’une des choses qui a apporté plus d’obstacle[1] à la peuplade du Canada, disait Colbert,

  1. Ce qui avait apporté le plus d’obstacle était le manque de parole des Cent-Associés.