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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

la paix. Cette ruse fut acceptée, comme toujours, et les Français rebroussèrent chemin. Rendu à Québec, l’un de ces sauvages se vanta d’avoir tué un officier, M. de Chasy, et, comme ce dernier était parent du maréchal d’Estrades, le vice-roi lui fit mettre la corde au cou.

Le 14 septembre (1666), M. de Tracy se plaça à la tête de six cents soldats du régiment de Carignan et de six cents Canadiens, dont cent dix de Montréal, plus cent Hurons et Algonquins, et se rendit au fort Sainte-Anne, d’où il repartit le 3 octobre ; mais M. de Courcelles, impatient à son ordinaire, avait déjà pris les devants. M. Le Gardeur de Repentigny commandait, en cette occasion, cent Canadiens de Québec. Le capitaine Charles Lemoyne et son lieutenant, M. Picoté de Bélestre, étaient à la tête de la milice de Montréal.

La marche fut des plus pénibles. Comme dans la première expédition, les préparatifs manquaient de logique. De plus, les Iroquois, avertis du danger, avaient érigé des forts munis de canons — et pour leur répondre, il fallait transporter des bouches à feu par des lieux à peu près inaccessibles. Il en résulta des délais et des embarras sérieux pour l’armée française. Les approvisionnements vinrent à manquer ; on donna aux commissaires des vivres le titre de « grands maîtres du jeûne » ; ni le manger ni l’habillement n’étaient en rapport avec les nécessités des troupes. Les quatre villages des Agniers n’offrirent aucune résistance ; la population les avait évacués ; on les brûla avec les provisions qu’ils renfermaient. Au lieu de poursuivre ce premier succès, et d’aller ravager les quatre autres cantons, M. de Tracy ordonna la retraite, et le 5 novembre, il rentrait à Québec, où l’on célébrait avec éclat la « défaite des Agniers », qui n’était pas du tout une défaite, comme le temps le prouva. Cette seconde expédition est absolument ridicule, n’en déplaise aux historiens. Il ne s’y fit que des bévues, ajoutées à celles de la campagne précédente. Les six cents Canadiens qui lui servaient d’éclaireurs eussent accompli quelque chose de définitif, si la permission eût pu leur en être accordée — mais non ! il leur fallait se borner à « accompagner » les beaux militaires et être témoins de la sottise européenne. Ce qu’il mourut de soldats par le froid, la faim et les maladies dépasse le chiffre de toutes les garnisons que la France nous avait envoyées depuis trente ans — il est vrai que ces garnisons avaient toujours été déplorablement faibles. M. de Tracy voyait des miracles partout ; M. de Courcelles se jetait tête baissée dans des périls qu’il ne comprenait pas ; la milice canadienne était à peine regardée comme une aide — et pourtant elle seule eût été capable d’accomplir la destruction des Iroquois. Retournés chez eux après ce triomphe, les habitants eussent pu travailler en paix à leurs terres, protégés par les soldats royaux qui n’étaient propres qu’à contenir les détachements et les bandes de maraudeurs au-delà d’une certaine distance des habitations françaises. Ce qui est plus curieux, c’est l’espèce de panique dont furent prises ces troupes une fois casernées dans les nouveaux forts : elles n’osèrent plus sortir de leurs retranchements, par la crainte des Iroquois. Cette terreur gagna les officiers. Là où dix Canadiens s’aventuraient hardiment, cent soldats refusaient de marcher.