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CHAPITRE VI


Le climat du Canada.



D
epuis plus de trois siècles que les bords du Saint-Laurent sont fréquentés par les Français, la température de cette région a-t-elle subi des changements ? Il paraît que non. Les documents indiquent à toutes les époques un climat semblable à celui d’aujourd’hui. Ceci nous enlève la consolante pensée que nos descendants pourraient, à cet égard, être mieux partagés que nous-mêmes. Néanmoins, tout espoir n’est pas perdu, disent quelques-uns. La Gaule, sauvage et glacée du temps de Jules César, ne ressemblait pas à la belle France de nos jours : les historiens l’affirment. Avec les forêts qui la couvraient ont disparu[1] ces hivers rigoureux qui gelaient les rivières au point de permettre le roulage de pesants chariots. Il est évident que le parti-pris s’en mêle, et que nous sommes tenus d’y croire parce que « tout le monde le dit. » Mettons-nous à la place du conquérant des Gaules. Ce Romain parlait en homme habitué aux ardeurs du soleil. Et puis, de son temps, on se nourrissait de préjugés encore plus que de nos jours. « N’allez pas dans l’île de Crète : il y a là un monstre qui vous dévorerait. » Durant des siècles, on alla le moins possible dans ce lieu redoutable, quoique l’on n’y vît point de monstre — mais on voulait bien croire qu’il ne ferait pas bon de trop s’exposer à le rencontrer. « Au nord de la Grèce est un pays inhabitable, disaient les contemporains de Périclès. Pourtant, l’Autriche n’est pas à dédaigner ; mais il a fallu beaucoup de temps pour s’en convaincre. La Grande-Bretagne passa, aux yeux des lieutenants de Rome, pour une région pleine d’horreurs et parfaitement inabordable, à moins que de porter des pantalons, ce qui n’entrait pas dans les idées des pères conscrits. Au temps de Jacques Cartier, on regardait la Prusse et la Pologne comme de simples champs de glace. Jusqu’à présent, l’Afrique a eu la réputation d’être mortelle aux populations blanches. Pourquoi ? Personne n’en sait rien. Et, cependant, que de voyageurs ont, tour à tour, démontré aux Grecs, aux Romains, aux Français l’absurdité de ces croyances ! Cela n’empêchait pas les professeurs et les instituteurs de la jeunesse de continuer à émettre de fausses notions, dont la conséquence était naturellement toujours la même : les peuples s’endurcissaient dans les

  1. Ceci est une manière de parler ; car les hivers rigoureux de la France, hivers comparables à ceux du Canada, se répètent de dix ans en dix ans depuis plus de quinze siècles.