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à cause de la forme de leurs noms ; mais qu’elles fûssent d’extraction noble ou roturière, elles ont « noblement » agi en consacrant leurs travaux à la Nouvelle-France, et nous ne connaissons aucun fait qui puisse leur être reproché.

Il a été dit que le roi, voulant se débarrasser des chenapans dont sa noblesse rougissait parfois, les envoyait de force au Canada. Cette assertion a du vrai et du faux. Tout d’abord, constatons que cela n’eut lieu qu’après le décès de Colbert, entre 1685 et 1715, alors que la colonie était parfaitement fondée. Les garnements en question étaient retenus dans les troupes ou servaient le plus souvent à la traite chez les sauvages : nous défions qui que ce soit de prouver qu’on ait établi de ces sortes de gens dans nos campagnes. Les rejetons de la noblesse, mis de cette façon en pénitence dans les bois et les lieux écartés, n’y demeuraient pas longtemps, et cela pour deux motifs : les uns désertaient et allaient se joindre aux Anglais ; les autres trouvaient grâce devant leurs familles et étaient rappelés. Quelques récits, rédigés par deux ou trois de ces tristes sires, démontrent à l’évidence qu’ils n’ont rien connu de nos paroisses, et qu’ils n’ont point été lâchés par leurs gardiens au milieu d’une population qui les eût lapidés à la première incartade. Nous reviendrons sur ce sujet vers la fin du dix-septième siècle. Aujourd’hui, occupons-nous de la première couche de la noblesse du Canada, celle qui était arrivée avant 1670.

MM. de Chavigny, Robineau, d’Ailleboust, de Fleury d’Eschambault, De Celles, de la Tesserie, Gourdeau et autres, établis avant 1670 et qui ont laissé leur descendance dans le pays, mêlée aux Habitants, ont tous exercé des fonctions publiques, il est vrai, mais dans des conditions qui les honorent et qui honorent également leurs administrés ; car l’arbitraire et le caprice du souverain n’y entraient pour rien. En tous temps, ces familles ont été respectées par un peuple qui se gêne cependant bien peu d’exprimer ses antipathies ! L’introduction de ces personnes dans le Canada comblait un vide : à part les cultivateurs, groupe essentiel de la colonie, il fallait quelques hommes de profession, quelques gens habitués aux affaires, non pas du commerce, mais de l’administration en général, et, comme les Habitants ne pouvaient encore tirer de leurs rangs cette classe dont ils devaient plus tard fournir tant d’excellents sujets, ils furent heureux de se voir aidés par des familles bien disposées et qui, ayant leur fortune à faire comme le commun des mortels, se mirent à l’œuvre avec eux, oubliant leur noblesse de sang et de rang — si toutefois elles sortaient de ce milieu, ce qui, nous le répétons, n’est point prouvé, sauf peut-être dans deux ou trois cas.

Il y a donc une ressemblance notable entre la physionomie des premiers habitants, des premiers officiers civils et des premiers seigneurs du Canada, c’est-à-dire avant 1670. Les uns et les autres n’avaient qu’un but : créer un avenir pour leurs enfants. Si les mots « noblesse » et « seigneurs » n’avaient pas embrouillé les historiens, la vérité serait mieux connue aujourd’hui ; on ne parlerait plus de privilèges qui n’ont jamais existé ; on saurait que tout le mal de la colonie provenait du monopole du commerce, et non pas des seigneurs ni de la noblesse ; car les intérêts de ces deux classes d’hommes étaient identiques à ceux de l’habitant.