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autre enfant né de parents inconnus. En sorte que, dans l’espace de soixante-neuf ans, au milieu d’une population composée de militaires, de marins, de voyageurs, de nouveaux colons, deux enfants seulement sont nés hors du légitime mariage de leurs parents. Ces chiffres fournissent une réfutation péremptoire des calomnies inventées par les La Hontan et quelques aventuriers de même aloi contre la réputation de nos aïeules canadiennes. »

Les registres des Trois-Rivières, ouverts en 1634, et dans lesquels figurent cent cinquante familles avant l’année 1665 (par conséquent à peu près autant d’enfants qu’à Québec durant la même période), ne renferment pas une seule mention de naissance illégitime.

M. Garneau revient plus d’une fois sur cette question de nos origines. Écoutons-le encore : « Les émigrants étaient des chercheurs d’aventures, plutôt que des hommes poussés hors de leur pays par la nécessité ; des jeunes gens, plusieurs de bonnes familles, attirés en Amérique par la traite des pelleteries, et qui espéraient que la fortune les dédommagerait de leurs travaux et des dangers qu’ils auraient courus ; des marins, las de la vie sur mer ; d’ardents catholiques, fuyant le voisinage des huguenots puissants dans quelques provinces, dans le Poitou, par exemple, où il y eut beaucoup de protestants. »

M. Pierre Boucher, parlant du sujet qui nous occupe, conclut en ces termes : « En un mot, les gens de bien peuvent vivre ici bien contents ; mais non pas les méchants, vu qu’ils y sont éclairés de trop près : c’est pourquoi je ne leur conseille pas d’y venir ; car ils pourraient bien en être chassés, et du moins être obligés de s’en retirer, comme plusieurs ont déjà fait ; et ce sont ceux-là proprement qui décrient fort le pays, n’y ayant pas rencontré ce qu’ils pensaient. Je ne doute pas que ces gens-là, qui ont été le rebut de la Nouvelle-France, quand ils entendront lire cette même description, ne disent que j’ajoute à la vérité : et peut-être encore quelques autres personnes diront de même, non pas par malice, mais par ignorance : je vous assure, mon cher lecteur, que j’ai vu la plus grande partie de tout ce que j’ai dit, et le reste je le sais par des personnes très dignes de foi. »

Raynal, écrivant un siècle plus tard, sans avoir été à même d’étudier notre histoire, a tracé les lignes suivantes que plusieurs auteurs ont citées, contribuant par là à répandre une fausse impression sur les commencements du peuple canadien : « Les premiers Français étaient venus se jeter plutôt que s’établir en Canada ; la plupart s’étaient contentés de courir les bois ; les plus raisonnables avaient essayé quelque culture, mais sans choix et sans suite. Un terrain où l’on avait bâti et semé était aussi légèrement abandonné que défriché. » La vérité est que l’immense majorité des Français établis et auxquels on a donné le nom d’Habitants, sont venus exprès de France prendre des terres et se sont attachés à les cultiver, en dépit des efforts que les traiteurs faisaient pour ruiner la colonisation, et c’est ce qui rend notre caractère si distinct lorsqu’on le compare avec ceux des autres colonies.

Un écrivain canadien, M. L.-O. Letourneux, disait en 1845 : « Pour prendre notre société comme un type à part et isolé, jeté par la Providence sur ce coin d’un immense continent, au milieu de populations étrangères qui la pressent de toutes parts ; pour examiner et mettre en relief ses mœurs, son originalité, son allure — pour montrer les transformations