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se voient ici qu’une fois l’an, sur les papiers et sur les gazettes que quelques-uns apportent de l’ancienne France. » Le père Jérôme Lalemant notait ce qui suit dans le Journal des Jésuites, dix années plus tard : « En arrivant à Québec, je trouvai qu’on avait volé et crocheté un coffre ; on avait pris tout le pauvre butin d’un homme, montant à plus de vingt-cinq écus ; on déclama fort là contre en chaire, comme contre un commencement de vice qui n’avait point encore été vu par deçà, où on allait sans défiance. » La sœur Morin, parlant de Montréal, vers 1654, nous dit : « Rien ne fermait à clef, ni les maisons, ni les coffres, ni les caves — tout demeurait ouvert, sans que personne eût à se repentir de sa confiance. Ceux qui jouissaient de quelque aisance s’empressaient d’aider les autres, et leur donnaient spontanément, sans attendre qu’ils réclamassent leurs secours, se faisant, au contraire, un plaisir de les prévenir et de leur donner cette marque d’affection et d’estime. »

« Les seigneurs et les communautés religieuses, dit M. Rameau, faisaient venir d’Europe des familles de cultivateurs et des domestiques engagés. Ces engagés finissaient presque toujours par rester dans le pays, en prenant des terres à rente dans les seigneuries et en se mariant dans les familles déjà établies de 1640 à 1650. Nous connaissons ainsi environ trente mariages d’émigrants dans le seul district de Québec… Ce fut l’immigration réelle d’un élément intégral de la nation française, paysans, soldats, bourgeois et seigneurs — une colonie dans le sens romain du mot, qui a emporté la patrie toute entière avec elle. Le fond de ce peuple, c’est un véritable démembrement de la souche de nos paysans français. Leurs familles, cherchées et groupées avec un soin particulier, ont transporté avec elles les mœurs, les habitudes, les locutions de leurs cantons paternels, au point d’étonner encore aujourd’hui le voyageur français… Ce sont aussi des soldats licenciés s’établissant sur le sol, officiers en tête, sous la protection du drapeau… Les premiers Canadiens semblent être, en quelque façon, la population d’un canton français transplanté en Amérique ; le fond dominant fut toujours une importation de paysans français, paisibles, laborieux, régulièrement organisés sous leurs seigneurs, avec l’aide et l’encouragement du gouvernement… Les campagnes canadiennes ont toute la rusticité de nos paysans, moins la brutalité de leur matérialisme. La simplicité des existences, la douce fraternité des familles, l’heureuse harmonie qui réunit toute la paroisse sous la direction paternelle et aimée de son curé, y rappellent quelquefois ces rêves de l’âge d’or, qui d’ici ne nous semblent appartenir qu’aux fantaisies de l’imagination… Il y a deux cents ans que les Canadiens passent pour le peuple le plus gai et le plus affable de toute l’Amérique, sans avoir eu besoin de faste ni d’apprêt dans leurs plaisirs. »

« Le clergé, écrit M. Garneau, a exercé une grande influence sur le choix des émigrés. Si nous n’en avions pas d’autres témoignages, nous pourrions le présumer sur quelques circonstances dont la signification ne peut être douteuse. Une entre autres : le choix d’épouses fort jeunes, dont l’âge répondît de l’innocence et de la vertu, se faisait sans doute d’après une idée qui venait bien plus de la religion que de la politique. »

« On avait apporté une très grande attention au choix de ceux qui s’étaient présentés pour aller s’établir dans la Nouvelle-France, ajoute Charlevoix, et il n’est pas vrai que les