Page:Sulte - Histoires des Canadiens-français, 1608-1880, tome III, 1882.djvu/83

Cette page a été validée par deux contributeurs.
67
histoire des canadiens-français

en un mot à se transformer. « Dès le lendemain de notre arrivée (1639), écrivait-elle en 1669, l’on nous amena les filles sauvages et celles des Français qui trafiquaient en ce pays, ce que l’on a continué jusqu’à présent. Comme ce pays a augmenté, nous avons, pour l’ordinaire, vingt à trente pensionnaires. Les françaises nous donnent cent et vingt livres de pension (par an, chacune) ; nous prenons les filles sauvages gratuitement : encore leurs parents, qui sont passionnés pour leurs enfants, croient nous obliger beaucoup… Pour les externes, je ne puis pas dire le nombre, parce qu’il y en a partie que le froid très grand et les neiges obligent de demeurer l’hiver en leur maison. Enfin, nous avons toutes celles de la haute et basse-ville ; les Français nous amènent leurs filles de plus de soixante lieues d’ici, quoique monseigneur notre prélat ait établi des maîtresses d’école à Montréal pour suppléer en ce lieu en attendant que nous y soyions établies. Nous sommes vingt-deux religieuses, dont trois sont encore novices ; en ce nombre il y a quatre sœurs converses. Nous sommes encore six professes de France ; les autres ont fait profession en ce pays. Sept d’entre elles et deux novices sont filles du pays ; les autres sont de France. » C’était bien là une institution nationale qui, au lieu d’exclure les enfants de la colonie, les appelait à elle et les faisait entrer dans ses rangs. Nous entendons par « nationale » la nationalité canadienne, que les religieux français n’ont reconnue en aucun temps, sauf les femmes de forte trempe, comme la mère de l’Incarnation, mademoiselle Mance et la sœur Bourgeois.

La résidence des ursulines brûla en 1650. Les parents français retirèrent leurs enfants, en attendant des jours meilleurs. Ce fut, pour toute la colonie, une calamité vivement ressentie. En 1651, la courageuse supérieure écrivait : « Nous logeons dans une petite maison qui est à un bout de notre clôture, de trente pieds de longueur et vingt de largeur. Elle nous sert d’église, de parloir, de logement, de réfectoire, d’office et de toute autre commodité, excepté la classe que nous faisons dans une cabane d’écorce. Avant notre incendie, nous la louions, mais aujourd’hui nous sommes trop heureuses d’y loger. Elle nous est commode en ce que nous pouvons veiller à nos bâtiments sans sortir de notre clôture. » L’année suivante, elle disait que madame la Peltrie ne voulait pas retourner en France ; qu’elle était décidée de bâtir une église pour les ursulines, et qu’elle achetait des matériaux pour cet objet. « Elle fera ramasser quelques pauvres filles françaises dans les établissements écartés, afin de les faire élever dans la piété et de leur donner une bonne éducation, qu’elles ne peuvent avoir dans leur éloignement… M. de Bernières lui a envoyé, cette année, cinq poinçons de farine, qui valent ici cinq cents livres. Il nous a aussi envoyé une horloge, avec cent livres pour nos pauvres Hurons. » L’instinct si juste, nous oserons dire si canadien de madame de la Peltrie lui faisait entrevoir que ces « filles françaises des établissements écartés » seraient un jour le rempart moral du pays. Les ursulines n’ont jamais perdu de vue ce grand objet.

« Quand même nos sœurs voudraient repasser en France — ce qu’elles sont bien éloignées de faire — celles du pays que nous avons faites professes, ayant été élevées dans nos règles et n’ayant jamais goûté d’autre esprit, seraient capables de le maintenir. C’est pour cela que nous ne nous pressons pas d’en demander. » Ceci est daté de 1652. Il n’y avait pas