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Les lignes suivantes du père Le Clercq, récollet, exposent la rivalité qu’il y avait entre les jésuites et ceux de son ordre :

« Il arriva qu’au mois de novembre 1650, un de nos amis de la compagnie du Canada prit la peine de venir à notre couvent de Paris rendre visite au révérend père Placide Gallemau, son ami particulier et gardien de la maison, à dessein de nous demander si nous ne voulions pas envoyer des religieux en Canada, assurant que nous y étions de plus en plus souhaité de la plus grande partie des habitants français, comme les députés arrivés de Canada l’en avaient assuré, singulièrement messieurs Geodfroy amiral de la flotte, de Tilly gentilhomme et Maheu, syndic du pays ; que nous pouvions les voir là-dessus, qu’il en avait communiqué à plusieurs de ses associés, qui lui avaient dit n’y trouver aucune difficulté, mais au contraire que notre retour était absolument nécessaire, que c’était un acte de justice, que les habitants n’avaient point le repos de leur conscience à cause de certaines difficultés d’intérêts qui se rencontraient dans le Canada avec ceux auxquels il fallait se confesser (ce sont les termes de son exposé). Il ajouta que, si nous ne prenions ce parti, les députés et la compagnie prendraient leurs mesures à notre défaut pour y faire passer des prêtres séculiers. Sur ces avances, le révérend père Raphaël Le Gault, qui se trouvait alors provincial, voulut éprouver à son tour s’il serait plus heureux que ses prédécesseurs. Il fit venir à Paris le père Paul Huet, qui était de la communauté de Rouen, et les frères Gervais Mohier et Charles Langoisseux, qui connaissaient le Canada, et leur donna pour adjoint le R. P. Zacharie Moreau, homme d’esprit et d’intelligence, afin de négocier tout de nouveau notre retour. On alla trouver notre ami, qui ne nous conseilla pas d’aller à la cour, mais bien de nous adresser directement à messieurs de la compagnie, à qui nous pourrions présenter requêtes à l’assemblée générale qui se tiendrait le 16 janvier 1651, et qu’assurément on n’y trouverait point d’opposition ; que M. de Lauzon même était entièrement changé, pourvu qu’il n’en coûtât rien à ces messieurs ; qu’il fallait leur rendre visite en particulier, et surtout prendre langue des députés du Canada. On n’oublia rien de tous ces avis. Les députés nous en apprirent plus que nous n’en voulions savoir et plus que la charité ne me permet d’en donner au public, et enfin nous dirent résolument qu’ils cherchaient quelqu’un pour mettre curé à Québec et en quelques-uns des endroits principaux — leurs consciences se trouvant trop gênées d’avoir affaire aux mêmes gens, tant pour le spirituel que pour le temporel, n’ayant personne à qui ils pussent communiquer confidentiellement les difficultés de leurs consciences, et qu’à notre refus, ils en iraient chercher d’autres. Messieurs de la compagnie, instruits par ces députés, nous tenaient à peu près les mêmes discours, singulièrement monsieur Rosé, directeur, messieurs Margonne des Portes, Beruhier et Chamfton, ajoutant en termes exprès : « Mes pères, il eût bien mieux valu que vous fussiez retournés au Canada que d’autres personnes ; c’est une haute injustice qu’on vous fait et aux habitants ; nous voyons bien d’où cela provient ; présentez vos raisons, et on vous fera justice et à ceux du pays. » Ensuite l’on visita le sieur Cheffault, secrétaire de la compagnie, qui nous dit : « Autrefois, mes pères, j’ai été contre vous et j’en ai demandé pardon à Dieu ; on m’avait surpris ; à présent, je