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« Ces fortifications ne tranchent point le mal par la racine ; les barbares font la guerre à la façon des Scythes et des Parthes ; la porte ne sera point pleinement ouverte à Jésus-Christ, et les dangers ne s’éloigneront point de notre colonie, jusqu’à ce qu’on aie ou gagné ou exterminé les Iroquois. » Telle était la bonne manière de voir ; on ne le comprit qu’après un quart de siècle de dévastations, d’horreurs et de souffrances inouïes.

Lorsque M. d’Ailleboust arriva de France, automne de 1648, la destruction des tribus huronnes était commencée dans le Haut-Canada. C’est le lieu d’apprécier le caractère de ce peuple et le chiffre auquel il s’élevait. Souvenons-nous d’abord qu’il était semblable, par l’origine, la langue et les coutumes, aux cinq tribus qui portaient le nom d’Iroquois : en d’autres termes, il avait toute leur férocité ainsi que leur perfidie. Sans les malheurs qui ont dispersé et anéanti les Hurons, personne ne songerait aujourd’hui à en faire des héros de douceur et des amis des Français. Les missionnaires et Champlain ont été, à leur insu, les auteurs de cette légende des « bons Hurons, » par opposition aux cinq tribus dont la politique entrava si longtemps les progrès du Canada. Les pères jésuites ne voyaient point, dans les premières années, que les Hurons faisaient toute chose par calcul. Ces sauvages demandaient le baptême pour plaire aux robes-noires, qu’ils regardaient comme des chefs parmi les Français ; de là cette croyance à leur penchant pour la religion chrétienne. C’est par exception que l’on compte des Hurons véritablement convertis. Il n’en était pas de même des Algonquins, moins hypocrites, plus fiers et « remplis de superbe » ; aussi les regardait-on comme de fort mauvaises gens, ce qui n’empêche pas que les Algonquins convertis l’étaient véritablement ; il n’y a qu’à lire les Relations pour s’en convaincre. Prises dans leur ensemble, ces deux races n’étaient susceptibles ni d’être civilisées, c’est-à-dire amenées à la vie européenne, ni à être imbues de notre foi religieuse. Honneur aux missionnaires qui ont tout sacrifié pour le salut de leurs âmes ! Honneur aussi aux Français qui ont travaillé à rendre leur existence terrestre moins misérable ! Quant aux résultats, ils furent nuls, ou à peu près, si ce n’est que, par l’intervention généreuse et persistante des jésuites, nous avons contrebalancé avec avantage l’influence des Anglais parmi ces barbares.

Les écrivains ont commis plus d’une erreur en parlant du chiffre des populations sauvages. Ils ont évalué à trente mille âmes et plus les familles huronnes. « Champlain lui-même tombe dans cette erreur, qu’il corrige, cependant, d’une certaine façon, en disant que cette nation comptait seulement deux mille guerriers, ce qui suppose environ dix mille âmes. Et, en effet, un recensement régulier fait par les missionnaires en 1639, c’est-à-dire à l’époque de la plus grande concentration des Hurons, constate alors trente-deux bourgades, sept cents cabanes (chez les Hurons-Iroquois des bourgades sédentaires, ces logements en tonnelles servaient à un plus ou moins grand nombre de familles), deux mille feux, douze mille personnes. Il faut remarquer que les Hurons cultivaient le sol, pêchaient dans le lac Huron et chassaient dans une assez grande étendue de forêts inhabitées, à l’est de leur pays de séjour. La guerre d’extermination que se firent entre elles les diverses tribus de race huronne-iroquoise habitant la vallée des lacs Ontario, Érié, Huron et voisinage, amena la