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lieu une douzaine d’années plus tard. Dès le mois d’octobre 1646, la mère de l’Incarnation exprimait la pensée que « les révérends pères jésuites ayant planté le christianisme en Canada, il semble qu’il y a de la nécessité qu’ils le cultivent encore quelque temps, sans qu’il y ait personne qui puisse être contraire à leurs desseins ». Nous ne savons pas en quoi un évêque pouvait être contraire aux desseins des pères jésuites ; mais il est visible que ceux-ci entendaient conserver seuls les missions du Canada. Comme la société de Montréal avait exprimé le désir d’avoir dans la colonie des prêtres séculiers et même un évêque, c’était aux démarches de l’un de ses principaux membres, M. de Maisonneuve, qu’était dû le consentement de Mazarin à ce sujet. En 1647, le ministre, pressé par certaines influences, recula devant la tâche de nommer un autre évêque, et le projet alla rejoindre les requêtes déjà anciennes des Canadiens qui demandaient le retour des récollets à titre de curés.

M. de Maisonneuve arriva de France à Québec le 20 septembre 1646. Un navire, qui le suivait de près, lui apporta la nouvelle de l’assassinat de son beau-frère et du mariage probable de sa mère. Sans monter à Montréal, il se rembarqua pour la France le 30 octobre.

M. Le Gardeur de Repentigny était arrivé à Québec le 23 septembre. Le ministre lui avait prêté, pour cette année, un navire nommé la Marquise, avec lequel il avait mis à la voile du port de la Rochelle. Quelque différend était survenu, en France, entre MM. de Repentigny et Olivier le Tardif au sujet du commerce. Le Tardif, revenu à Québec, le 17 octobre, se plaignit du traitement qu’on lui avait fait subir. Il y eut parmi les Habitants des divisions et des mécontentements, que les amis des Cent-Associés ne virent pas d’un mauvais œil. Certains officiers de la compagnie des Habitants prétendaient à une augmentation de gages ; M. de Maisonneuve s’y opposa, et, lorsque ce gentilhomme reprit la mer, il emmena en France MM. Giffard et Tronquet[1], qui paraissent avoir pris une part active à ces débats. M. de Repentigny, continué amiral, commandait les vaisseaux ; le 3 octobre, il avait marié sa fille, Madeleine, à Jean-Paul Godefroy. Les familles Leneuf, Le Gardeur, Robineau, Juchereau, Giffard et Godefroy commençaient à contracter des mariages qui les unirent de plus en plus et leur donnèrent bientôt l’apparence d’un family compact absolument canadien, par opposition aux ligues dont quelques membres des Cent-Associés avaient fait usage dans les dernières dix ou douze années.

Le 27 février 1647, dit le Journal des Jésuites, « il y eut un ballet au magasin ; c’était le mercredi gras : pas un de nos pères ni de nos frères n’y assista, ni aussi des filles de l’hôpital et des ursulines, sauf la petite Marsolet. » Marie Marsolet, née 1637, épousa (1652) Mathieu Damours. « On tenait M. Marsolet, et surtout sa femme, auteurs de la mutinerie des petits habitants », dit encore le Journal.

« L’année 1645, qui fut celle du changement de la traite, et que messieurs de la compagnie générale partagèrent la traite avec les Habitants, les seuls Habitants eurent pour leur part les quatre-vingt-dix-huit poinçons de castor ; et, en 1646, plus de cent soixante. Dans un poinçon il y a deux cents livres de castor, et la livre vendue dix francs — sans les peaux

  1. Les sieurs Tronquet et Boutonville étaient, en 1646, secrétaire de M. de Montmagny.