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histoire des canadiens-Français

grands changements ; mais l’année 1661 ne se présentait guère d’une manière plus rassurante que celles de 1646 à 1660.

Ceux qui étaient allés, en 1656, établir un poste chez les Iroquois n’avaient pas tardé à voir qu’ils étaient dupes de la perfidie de cette nation. C’est comme par miracle qu’ils en réchappèrent. Tout le temps de leur séjour en ces endroits fut employé en pures négociations, alors que l’on croyait leurs travaux sur la voie du progrès. Pour nous servir d’une expression caractéristique, disons que les Iroquois leur vendaient du plomb. On les amusait avec de belles paroles, tandis que les bandes de maraudeurs continuaient de ravager nos établissements le long du fleuve, entre Montréal et Québec. M. d’Argenson venait d’arriver de France en 1658, il allait se mettre à table lorsque le cri de guerre retentit. C’était la coutume journalière. Les habitants couraient aux armes entre chaque repas. Le gouverneur voulut avoir le dernier mot avec les assassins qui infestaient la campagne. Il paya de sa personne, faillit être tué par excès de bravoure, parcourut le fleuve, haut et bas, mais sans rien gagner, et se lassa. La partie n’était point égale. S’arrêtait-il dans les habitations françaises, on lui apprenait que de nouveaux massacres venaient d’être commis, et que les auteurs de ces forfaits rôdaient aux environs. Alors, bouillant d’ardeur et du noble désir de protéger ses gens, il remontait en chaloupe, battait les grèves, essuyait quelques coups de feu, apercevait l’ennemi qui fuyait à travers les bois ou sur ses légers canots d’écorce, et s’en retournait désespéré. Si une flottille de traite se montrait quelque part, les Iroquois tombaient dessus et la pillaient. Les sauvages alliés avaient pris l’habitude de ne plus se rendre au Saint-Laurent. Ils rencontraient les Français dans les territoires du nord, entre l’Ottawa et le Saguenay. Vaine retraite ! Les Iroquois les y atteignirent. Des combats sanglants eurent lieu. La dévastation s’étendit à cinquante lieues au-delà des Trois-Rivières. Le dernier espoir de la traite de ce côté s’anéantissait. Un désastre était suivi d’un autre. Voyant que les tribus du haut de l’Ottawa ne pouvaient plus se rencontrer aux rendez-vous indiqués sur le Saint-Maurice, on songea au Saguenay et aux peuples qui avoisinaient la baie d’Hudson. Dans ce but, au printemps de 1661, deux expéditions partirent simultanément des Trois-Rivières et de Québec. L’une, commandée par Michel[1] Leneuf de la Vallière, fils de Jacques Leneuf de la Poterie, remonta le Saguenay ; elle paraît avoir rebroussé chemin au lac Saint-Jean, à cause des Iroquois qui s’étaient répandus tout à coup dans la contrée. L’autre, conduite par Jacques Godefroy de Vieux-Pont, fils de Jean Godefroy de Lintot, prit la direction du Saint-Maurice ; elle comptait trente Attikamègues et se dirigeait en traite vers le lac Necouba. Cette troupe fut rencontrée par quatre-vingts Iroquois qui les attaquèrent ; la lutte dura deux jours. Les Attikamègues, d’ordinaire si timides, se défendirent avec une valeur inaccoutumée, mais ils furent écrasés sous le nombre. Pas un seul ne voulut se rendre, préférant recevoir la mort dans le combat que de périr sur le bûcher. Les femmes ne le cédèrent point aux hommes en courage et en intrépidité ; se voyant perdues, elles cherchèrent partout l’occasion de se faire

  1. Né en Canada. Il fut capitaine des gardes de Frontenac, servit en Acadie où il fonda Beaubassin, et donna son nom à Saint-Michel d’Yamaska, ainsi qu’à la baie de la Vallière.