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voulu y voir que les intérêts français ; les religieux, qui se sont extasiés sur les missions, et les laïques, effrayés par la menace des censures ecclésiastiques. Nous qui ne sommes ni Français de France, ni prêtre, et qui ne craignons pas les censures ecclésiastiques, nous écrivons la vérité. Avec les gens qui ne se gênent pas, dit un proverbe, il ne faut point se gêner : les jésuites ont joué leur rôle ici à notre détriment : ils n’ont pas de titre à l’impunité.

Comme pour venir en aide au sentiment national dont les colons de 1639 se faisaient les interprètes, la société qui se proposait alors de fonder Montréal avait en vue de se procurer l’assistance de prêtres séculiers. Malheureusement, le clergé de France, avili dans les hautes sphères par les ambitions politiques et la cupidité ; maintenu dans les campagnes et les petites villes au rang de valets des grands seigneurs, n’était guère susceptible d’offrir des sujets propres à cette œuvre sainte et méritoire. C’était l’époque où saint Vincent de Paul et M. Olier, pour n’en citer que deux, travaillaient à l’épuration du clergé. Le nord du royaume, pays des premiers Canadiens, était encore la partie la plus saine, et l’on est peu surpris de voir que les seuls prêtres séculiers du temps de M. de Montmagny (1636-1648) venaient de ces endroits. MM. Le Sueur et Nicolet furent véritablement les curés de Beauport et des petits établissements groupés autour de Québec.

La société de Montréal, avec ses aspirations si différentes de celles des jésuites, porta ombrage à ceux-ci. Les obstacles du début une fois franchis, M. de Maisonneuve ne pouvait cependant refuser d’accepter les jésuites, puisque les autres prêtres faisaient défaut ; mais on suit avec précision la marche des idées de la compagnie que ce gentilhomme représentait, et l’on voit que la porte n’était ouverte aux jésuites que faute de mieux.

C’est du voyage en France du gouverneur de Montréal (1645) que date la première dispute connue sur l’à-propos de nommer un évêque au Canada. M. le Gauffre, ami de M. Olier, fut désigné ; sa mort, survenue presque au lendemain de sa nomination, suspendit l’affaire. Les jésuites intervinrent alors : car ils avaient, en quelque sorte, été devancés, et ils surent tirer avantage de la disparition du titulaire qui n’appartenait pas à leur ordre. Parmi ceux qui les supportaient de leur argent et de leur influence, ils créèrent ce désir, si nettement exprimé par la mère de l’Incarnation, de ne confier qu’à eux la gouverne spirituelle d’une colonie dont ils avaient été les premiers pasteurs. On ne tenait compte ni des récollets leurs prédécesseurs (écartés par des moyens encore inavoués), ni du fait que le Canada, loin d’être avant tout un pays de missions, était une colonie française habitée, et non pas seulement fréquentée, par des Français.

M. d’Ailleboust, trop attaché à Montréal, ne garda pas le gouvernement. Les missions huronnes, ruinées par les Iroquois en 1648-9, forçaient les jésuites à se rabattre sur le bas Saint-Laurent, et c’est en partie pour fortifier la position de l’Ordre que M. de Lauson fut choisi comme gouverneur, le lendemain du refus opposé aux Canadiens de leur envoyer des récollets. En même temps, les Cent-Associés écrivaient à Rome, demandant qu’un jésuite fût nommé évêque de la Nouvelle-France. Le projet échoua. La compagnie de Montréal ne voulait point concéder à ces pères de seigneurie dans son île. M. de Lauson leur donna celle