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L’on ne songe pas généralement jusqu’à quel point les coutumes et les traditions populaires sont tenaces. Le cas qui nous occupe est remarquable.

En France, on voit, par les anciens auteurs, que, du moment où quelqu’un apportait une bonne nouvelle, chacun s’écriait à la ronde : Faites-en les feux ! ce qui voulait dire : réjouissons-nous, allumons les feux de fête.

Les paysans de l’Alsace dansent encore autour de brasiers allumés sur la place publique à l’occasion du 24 juin. Les fiancés, ceux qui doivent s’épouser dans les douze mois, sautent par couple, se tenant la main, au-dessus des tisons enflammés. Autrefois, à Paris, le roi assistait à la cérémonie du feu de la Saint-Jean, qui avait lieu sur la place de Grève, et cet usage remontait au moins au règne de Louis XI. On plantait au milieu de la place un mât d’une soixantaine de pieds de hauteur, hérissé de traverses de bois auxquelles on attachait un nombre considérable de bourrées, de cotrets et de pièces d’artifice, puis on amoncelait, au pied, du bois et de la paille. On avait aussi la coutume barbare de suspendre au mât un panier qui contenait des chats et des renards destinés à être brûlés vifs. Ces pauvres animaux poussaient des cris horribles qui réjouissaient le cœur des grands de la cour. Quand le feu avait tout consumé, le roi montait à l’hôtel-de-ville où on lui servait une collation.

Les Bretons conservent avec soin un tison du feu de la Saint-Jean, qu’ils placent auprès de leur lit, entre une branche de buis bénit le dimanche des Rameaux et un morceau de gâteau des Rois. Ces objets réunis doivent le protéger du tonnerre. Les jeunes filles qui désirent se marier dans l’année n’ont qu’une chose à faire : c’est de se mettre en danse, dans une même nuit, autour de neuf bûchers de la Saint-Jean ; la recette, paraît-il, vaut de l’or. En Poitou, on entoure d’un bourrelet de paille une roue de charrette ; on allume le bourrelet avec un cierge bénit, puis l’on promène la roue enflammée à travers les campagnes, qu’elle fertilise, si l’on en croit les gens du pays. À la Ciotat, en Provence, un coup de canon donne le signal pour allumer le feu, et, pendant que le bûcher élève ses flammes dans l’air, les jeunes gens se jettent à la mer pour s’y asperger réciproquement, ce qui figure pour eux le baptême du Jourdain. À Vitrolles, les habitants vont prendre, dans la même circonstance, un bain qui doit les préserver de la fièvre pendant toute l’année.

En 1606, le Jonas, navire de la Rochelle, capitaine Foulques, pilote Olivier Fleuriot, de Saint-Malo, portait la colonie de Poutrincourt. Le poète Lescarbot, qui était à bord, nous raconte qu’arrivé sur le banc de Terreneuve, le point du jour étant venu, « qui était la veille Saint-Jean-Baptiste, à bon jour bonne œuvre, nous passâmes la journée à la pêcherie des morues avec mille réjouissances et contentement… Sur le soir, nous appareillâmes pour notre route poursuivre, après avoir fait bourdonner nos canons, tant à cause de la fête de saint Jean que pour l’amour du sieur de Poutrincourt, qui porte le nom de ce saint. »

C’est le 24 juin, jour de saint Jean-Baptiste, 1610, que le révérend Jessé Fléché, prêtre, baptisa, au Port-Royal, vingt et un Souriquois, qui furent les prémices de la foi chrétienne chez les peuples de la Nouvelle-France.

En 1615, le jour de la Saint-Jean-Baptiste, les pères Jamay et Le Caron célébrèrent, à