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pain bénit se fit lorsque le prêtre alla pour ouvrir son livre. Ce fut le premier depuis plusieurs années, qu’il avait été intermis (suspendu) pour les préférences de la distribution que chacun prétendait. Le renouvellement s’en fit par la dévotion des taillandiers qui eurent dévotion de le faire à la messe de minuit, et les esprits se trouvèrent disposés à remettre (rétablir) cette coutume ; monsieur le gouverneur eut le chanteau pour le faire (donner le pain bénit) le dimanche après. »

« Le dimanche, 21 janvier 1646, madame Marsolet devant faire le pain bénit, désira le présenter avec le plus d’appareil qu’elle pouvait. Elle y fit mettre une toilette, une couronne de bouillons de gaze ou du linge à l’entour. Elle désirait y mettre des cierges, et des quarts d’écus aux cierges au lieu d’écus d’or, qu’elle eût bien désiré y mettre ; mais voyant qu’on ne lui voulait point permettre, elle ne laissa point de le faire porter avec la toilette et la couronne de bouillons, mais devant que de le bénir, je fis tout ôter et les bénis avec la simplicité que j’avais fait les précédents, et particulièrement celui de monsieur le gouverneur, crainte que ce changement n’apportât de la jalousie et de la vanité. »

Fête de l’Épiphanie, 1660 : « Les soldats faisant le pain bénit ce jour-là, firent retentir les tambours et flûtes, et vinrent de la sorte à l’offrande et s’en retournèrent de la sorte à la fin de la messe, ce qui choqua puissamment monsieur l’évêque — auquel, toutefois, ayant porté un chanteau, il leur envoya deux pots d’eau-de-vie et deux livres de petun. »

Alors, comme aujourd’hui, les Canadiens étaient profondément religieux. On en voit la preuve dans tous les actes de leur vie. La prière en commun, assiduité aux offices de l’église, récitation du Benedicite et des Grâces aux repas, respect et considération pour le clergé — le tout sans chercher à paraître, sans s’occuper de ce qu’en pensent les étrangers. M. de Gaspé observe ce qui suit : « La pieuse coutume des habitants de faire une prière avant de commencer un ouvrage qui peut les exposer à quelque danger : tel que l’érection du comble d’un édifice, etc., existe encore de nos jours. C’est un spectacle imposant de les voir se découvrir, s’agenouiller et d’entendre un vieillard réciter, à voix haute, des prières auxquelles les autres répondent. »

Selon une coutume assez répandue dans les campagnes de France, les Canadiens tâchaient de se soustraire aux impôts du commerce en fabriquant eux-mêmes les étoffes dont ils s’habillaient. Avec la laine, le lin, le cuir, ils confectionnaient toutes les pièces d’un costume d’homme ou de femme. Flanelle, droguet, toile, tricot ne tardèrent pas à sortir des métiers. La chaussure des sauvages convenait fort bien à la saison d’hiver ; les bottes molles de cuir rouge canadien étaient en usage toute l’année ; plus tard, les gens à l’aise se procuraient, pour les fêtes et dimanches, les « souliers français » et les « bottes malouines » dont parlent nos vieilles chansons. « Nos ancêtres, écrit M. de Gaspé, dépensaient un sou avec plus de répugnance que leurs descendants un louis, de nos jours… Alors (au dix-huitième siècle), riches pour la plupart, ils ignoraient néanmoins le luxe : le produit de leurs terres suffisait à tous leurs besoins. Un riche habitant, s’exécutant pour l’occasion, achetait à sa fille, en la